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ou legs faits en faveur des musées nationaux se sont aussi multipliés en ces derniers temps. C’est à encourager ces libéralités et à les provoquer qu’il faut s’appliquer, car même avec un budget plus considérable, le renchérissement des œuvres d’art rend aujourd’hui très difficile la lutte avec les milliardaires américains, qui, lorsqu’ils veulent s’assurer la propriété d’un chef-d’œuvre en vue, n’hésitent pas à pousser les offres directes ou les enchères jusqu’à des sommes qui autrefois auraient paru fabuleuses. Il est permis, sans craindre d’être indiscret, de solliciter pour le Louvre des actes de générosité qui profitent au public, et, avec un peu de suite et de prévoyance, grâce aux faveurs officielles dont dispose l’administration, celle-ci peut, sans bourse délier, incliner les bonnes intentions des amateurs à des libéralités qui les honoreront. À ce titre, la décision prise récemment de mettre en belle place, à l’entrée de la galerie d’Apollon, la liste des bienfaiteurs du Louvre pour perpétuer le souvenir de leur nom et les signaler à la reconnaissance de tous est une mesure à la fois très équitable et très opportune.

La possibilité pour la Caisse des musées de capitaliser ses ressources et d’en réserver une part en vue d’acquisitions qui, à raison de leur mérite ou des lacunes qu’elles combleront, seraient d’un intérêt capital pour le Louvre, compense d’ailleurs, en partie, l’insuffisance de ses ressources. Autant, quand il s’agit de se procurer un ouvrage de premier ordre, il faut savoir se résigner aux sacrifices nécessaires, autant il convient cependant de se garder de ces engouemens passagers qui, sous l’impulsion de gens habiles à profiter d’un snobisme qu’ils ont souvent créé, se produisent périodiquement dans le prix des objets d’art. C’est ainsi que nous avons vu, au siècle dernier, monter et décroître tour à tour la valeur vénale des tableaux de Greuze, d’Hobbema, de Frans Hals et de quelques-uns de nos peintres modernes. Aujourd’hui la vogue est à l’école anglaise, aux primitifs, à notre art du XVIIIe siècle, et des œuvres, même médiocres, qui rentrent dans ces diverses catégories, atteignent, pour le moment, des prix plus de dix fois supérieurs à ceux qu’on les payait il y a dix ans. Il importe donc que, pour un musée comme le Louvre, on ne choisisse pas précisément ces périodes de hausse excessive, qui ne répondent pas toujours au mérite esthétique, pour faire de pareils achats. Quand on n’a pas prévu à temps, — et la chose serait aussi difficile que hasardeuse, — ces courans d’opinion, il