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comprend des individus, venus des villes ou des tribus, dont le makhzen a recherché le concours et qui lui sont rattachés pour la durée des fonctions à eux confiées. Ce sont gens qui, n’étant pas nés makhzen, le deviennent pour une période déterminée de leur vie, due aux hasards de leur carrière. Tels sont les caïds et les cheikhs des tribus, les oumana chargés des services financiers et les secrétaires, appelés, pour l’élégance de leur plume, à tenir la correspondance administrative. C’est ainsi qu’aux groupes, privilégiés par la naissance, se rattachent tous ceux qui émergent de la masse marocaine, soit par leur situation territoriale, soit par leur richesse, soit par leur intelligence. En règle générale, c’est toujours aux plus grands propriétaires que reviendront les charges de caïds et de cheikhs ; les négocians les plus riches deviendront les oumana ; et l’élite des étudians de Karaouiyin aura quelque chance d’entrer comme secrétaires au makhzen. Ceux qui réussissent à s’élever de la masse marocaine ne sont donc point repoussés de parti pris. Mais, en réalité, s’il n’y a pas de gens en place dans sa famille, il est très difficile à un Marocain de parvenir aux honneurs, et chaque génération ne compte qu’une infime proportion de nouveaux venus. Quoique les caïds des tribus ne soient pas héréditaires, ils sont choisis cependant parmi les membres des deux ou trois familles les mieux placées de la région ; dans l’armée, les gradés sont le plus souvent fils de gradés d’un rang égal ; pour les services financiers, les fils d’oumana succèdent naturellement à leurs pères ; et, comme secrétaires au makhzen, on choisit de préférence les fils d’anciens secrétaires, en négligeant un peu la production annuelle des médersas. Si bien qu’à côté de la caste des gens makhzen par la naissance, il a pu se constituer celle des gens makhzen par la fonction.

L’organisation d’une armée nationale et permanente fut le premier coup porté au privilège exclusif des tribus makhzen. Ces tribus fournissaient, en effet, la force armée des sultans, et c’était pour cette raison même qu’on les avait déclarées makhzen. Comme les Turcs d’Alger avaient promptement cessé d’être une menace pour le Maroc, l’armée makhzen, sous sa forme primitive, suffisait à son office, qui consistait à contenir les tribus. La conquête française en Algérie, partant, l’apparition d’un danger extérieur, imposa la recherche d’un nouveau système militaire. L’expérience d’Isly démontra l’impuissance de la vieille armée ;