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ma vie est parfaitement remplie et que j’en fais tout juste autant que j’en puis faire ?…

— Je le crois. Mais, madame, ces amies intimes ?…

— Ah ! ces amies intimes, il est très vrai qu’elles sont femmes d’officiers de marine. Quel mal à cela ?

— Il n’y en a point. Mais là, bien franchement, n’avez-vous mis aucun parti pris à ne fréquenter que ces dames ?

— Aucun. C’est, comme ça, tout uniment, par la force des choses. Je n’appartiens pas de naissance, vous le savez, au monde maritime, ni à la société de Toulon ; mes amies sont dans le même cas, venues des quatre coins de la France. Avec qui voulez-vous que nous frayions ? Nous sommes du même monde…

— Ah ! voilà…

— Mais sans doute !… J’entends du monde des braves gens et des gens bien élevés, car vous n’allez pas croire que nous donnons dans le ridicule de certaine coterie, d’ailleurs fort restreinte. Nous sommes donc du même monde ; nous avons, ou peu s’en faut, même éducation, mêmes croyances, même instruction générale ; nos maris, quel que soit leur point de départ, ont passé du moins par la même école et, visant au même but, parcourent la même route. Ils se connaissent depuis longtemps et se rencontrent toujours avec plaisir. Notre petit cercle s’est ainsi formé naturellement et, si je ne souhaite pas de le voir s’agrandir, je vous affirme qu’à l’occasion nous y eussions admis sans hésiter des femmes d’ingénieurs, de commissaires, de médecins, assurées de trouver chez elles ce que nous trouvons chez nous. Vous savez d’ailleurs qu’en réalité on se mêle très volontiers…

— Oui, entre ces quatre catégories, officiers de marine, ingénieurs, commissaires, médecins… Mais il en est une autre…

— Ah ! je vois ce que vous voulez dire. Les mécaniciens ?… Eh bien ! que voulez-vous, nous ne les voyons jamais, ces dames ; à peine s’aperçoit-on quelquefois dans la rue, à la promenade. Ces messieurs, à bord, vivent presque toujours en assez bons termes avec nos maris, quoi qu’on en dise ; mais, une fois à terre, bonjour, bonsoir ; chacun tire de son côté.

— Fâcheux particularisme !…

— Je ne dis pas… Mais, en ce qui nous concerne, nous autres femmes, qu’y pouvons-nous ?

— Beaucoup… tout peut-être ! Conflits d’attributions, rivalités de compétences, divergences d’opinions, billevesées,