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« m’a fa tort. » C’est son industrie de servir de témoin : il témoigne tout ce qu’on veut. Le second, c’est, de tradition, le mastroquet du coin. Celui-ci dit à Paul : « Ne me regardez pas comme ça, monsieur, quand je signe. Ça m’intimide, et, comme je ne suis pas bien sûr de mon affaire… » Enfin, ça y est tout de même, et avec un paraphe. « Maintenant, dit Paul, et en vous remerciant, messieurs, qu’est-ce que je vous dois ? — Oh ! ça n’est pas cher… une tournée… — Et où ? — Chez moi, pardi ! — Ah ! bien… » On descend chez le bistro : ces messieurs les témoins prennent « une eau-de-vie blanche, » quelque chose de roide. Paul, intimidé à son tour, hésite… « Oh ! monsieur, il n’y a pas moyen, il faut trinquer. Sans ça, voyez-vous, ça ne serait pas valable, votre affaire… voyons ! un bock ?… — Un bock, soit ! » Et Paul y trempe ses lèvres ; mais comme il n’aime pas beaucoup la bière, il laisse là le verre après l’avoir choqué contre ceux de ses copains : « Allons, je vois ce que c’est, dit le bistro, paternel ; ne vous inquiétez pas, je le ferai resservir. A l’honneur de vous revoir, monsieur ; c’est cinquante centimes en tout. »


23 octobre. — Travoux, qui a eu la chance, après son congé de la Chine, d’embarquer sur le Vercingétorix, me dit que le bruit avait couru dans l’équipage de ce bateau que le « détail » avait une masse de 40 000 francs. On l’a écrit au ministre, qui a dépêché un contrôleur. Celui-ci a trouvé qu’il y avait un roulement de fonds de moins de 4 000 francs, somme très acceptable, vu le service spécial du Vercingétorix, et que l’on emploie à donner des douceurs à l’équipage. On ne sait si les fortes têtes du bord voudront bien se déclarer satisfaites.

Avant-hier, comme je rentrais dans l’arsenal, j’ai vu Josseaume, qui commande un bâtiment en réserve, avec M…, l’ancien officier devenu l’informateur du Petit Toulonnais. La conversation était fort animée. Un peu après, Josseaume me rejoint : « M… m’a prévenu, dit-il, que l’on recevait depuis quelque temps au Petit Toulonnais des dénonciations de l’équipage de mon bâtiment contre les sous-officiers qui seraient durs pour leurs subordonnés[1] ; qu’il préférait m’en parler avant de rien publier,

  1. A noter ici que, dans la marine, aucun supérieur autre que le commandant du bâtiment, n’a le droit de donner directement une punition. On ne peut que signaler les infractions en les inscrivant sur un registre ad hoc. En ce moment les sous-officiers sont plutôt portés à fermer les yeux sur tout ce qui se passe d’irrégulier.