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des sémaphores, Jusqu’aux soufflets, pincettes et allumettes…

Et puis, de temps à autre, on m’invite à inspecter les hôpitaux et la prison maritime. Pour l’ancien hôpital de la Marine qui est dans la rue Nationale, je n’ai que deux pas à faire, logeant quasi en face. C’est une robuste bâtisse de la fin du XVIIe siècle qui fut élevée par les Jésuites en 1685, quand on les chargea de fonder à Toulon une sorte de grand collège, à la fois séminaire pour les aumôniers de la Marine et école pour les « gardes du pavillon de l’amiral[1]. » En 1762, lorsque la Compagnie fut chassée du royaume, on s’adressa aux récollets pour « la fourniture (sic) des aumôniers nécessaires aux vaisseaux. » Quant au collège des futurs officiers, il fut sécularisé. Il est bien probable que M. de Choiseul permit qu’on y dît la messe. Il faut toujours laisser quelque chose à faire à ses successeurs. Enfin, en 1785, juste cent ans après sa construction, le collège royal fut converti en hôpital par l’intendant Malouet, un des hommes qui ont rendu à Toulon et à la marine le plus de services. Vers le début du XIXe siècle, on commença à sentir l’insuffisance de l’établissement et le danger de laisser un foyer permanent de maladies au milieu de la ville. En 1816, l’hôpital de Saint-Mandrier fut fondé de l’autre côté de la rade, dans la plus belle et la plus heureuse situation, sur le revers nord de la presqu’île de Cépet.

Je prends pour aller à Saint-Mandrier la canonnière le Kéraudren, qui fait le va-et-vient régulier. La vieille darse traversée, et laissant à droite les rangs serrés des torpilleurs de la défense mobile, nous débouchons dans la rade, à laquelle les douze cuirassés et croiseurs de l’escadre donnent de l’animation. A gauche, nous longeons l’arsenal secondaire du Mourillon, avec ses cinq belles cales de construction, dont deux seulement s’emploient, toutes surprises de cette déchéance, à porter de maigres carcasses qui deviendront des sous-marins.

Ce Mourillon est le faubourg maritime de Toulon, l’échappée heureuse, épanouie vers le large, vers le grand air et la fraîcheur. A sa pointe Sud, dès François Ier, s’éleva la grosse tour où s’enracine aujourd’hui la digue, commencée peu après la guerre de 1870. Qu’elle est vilaine, cette digue, et fâcheuse, rompant de son dur profil aux dents de scie l’harmonie de la nappe bleue

  1. Les aspirans de 2e classe de nos jours. Ces gardes de la marine, comme on les appelait couramment, étaient, quoique bons gentilshommes, d’affreux polissons dont la turbulence scandalisait fort les pieux et graves Toulonnais d’alors.