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UN PEINTRE AU JAPON.

délices d’une grande ville. Et le jour vient où, vieille, décrépite, mourante, réduite à la mendicité, elle porte son costume superbe, défraîchi par le temps, à un peintre qui l’a vue au temps de sa beauté, pour qu’il l’accepte en échange d’un portrait fait de mémoire qui sera déposé devant l’autel toujours chargé d’offrandes, afin que son bien-aimé la voie jeune à jamais, la plus belle des shirabyoshi, et qu’il lui pardonne de ne plus pouvoir danser.

La shirabyoshi, avec le recul du temps, nous apparaît ici parée de je ne sais quelle dignité hiératique que ne sauraient avoir les modernes geisha Lafcadio Hearn ne prétend nullement dans les pages qu’il leur consacre idéaliser outre mesure ces dernières, qui apparaissent sous sa plume comme de gentils animaux assez dangereux, mais n’est-ce pas leur métier de l’être ? Quel que soit le rang de la femme japonaise, il ne parle d’elle qu’avec une extrême discrétion et des précautions qu’on chercherait vainement dans le portrait de Mme Chrysanthème. La volupté subtile dont son style est empreint ne s’étend jamais aux scènes qu’il représente ; elle est immatérielle à un degré rare ; il sait nous faire entendre ce qu’il veut, sans qu’un mot blesse jamais ces convenances chères aux Japonais, plus que la vertu même. Et, à l’en croire, la jeune fille bien élevée, l’honnête épouse sont au Japon les types les plus parfaits de féminité qu’il ait rencontrés sur aucun point du monde, lui qui a tant voyagé ! Les opinions formulées à la légère par les globe-trotters sur ce sujet qu’il effleure à peine, par respect, l’indignent autant qu’elles peuvent indigner les Japonais de naissance. Évidemment il a pénétré la vie intérieure de ceux-ci, le mystère de leurs pensées, les ressorts cachés qui les font agir, au point de partager leurs sentimens. Ce phénomène s’est produit chez d’autres que lui après de longs séjours au Japon, chez le poète Edwin Arnold, l’auteur de The Light of Asia, qui, lui aussi, épousa une Japonaise ; chez le peintre John La Farge qui a rendu avec une sorte de piété l’image virginale de Kwannon à l’auréole lunaire, dont Hearn nous dit qu’après avoir pris dans l’Inde cent formes diverses, elle est devenue au Japon comme le symbole divinisé des plus adorables qualités de la femme.

De symbole en symbole, de sanctuaire en sanctuaire, et parmi toutes les traditions ressuscitées d’autrefois, l’auteur des deux volumes intitulés Glimpses of unfamiliar Japan, nous pro-