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UN PEINTRE AU JAPON.

Par-dessus l’épaule de la mère, l’enfant regarde avec des yeux terrifiés, puis il se met à sangloter, mais, tout en (pleurant, il regarde, il regarde encore le visage qui se convulse. On dirait que la foule a cessé de respirer. Soudain le misérable se jette à genoux, malgré ses fers, et bat la poussière de son front, tout en criant d’une voix rauque étranglée par le remords :

— Pardon ! Pardonne-moi, petit.

Et il se confesse, et il se déclare content de mourir,… il veut mourir… Et le mot de Pardon revient toujours. Et l’enfant continue de pleurer. Et soudain la foule entière se met à pleurer avec lui.

Cette scène est d’un pathétique inexprimable. La justice obtenant l’aveu du crime par le simple appel d’un témoin muet ; le coupable criant grâce, sans souci de la peine capitale qui va suivre ; la populace qui comprend tout, qui accepte silencieusement la contrition et la honte en expiation du péché. — Mais le trait significatif de cet épisode, c’est que l’appel au remords a été fait à travers le sentiment paternel, l’amour des enfans tenant une place immense dans l’âme de tous les Japonais. On raconte que le plus fameux des brigands, Ishikawa Goëmon, oublia une nuit de voler et de tuer dans certaine maison où il s’était introduit, et cela sous le charme du sourire d’un bébé qui lui tendit les bras.

Nous ne faisons nulle difficulté pour reconnaître que cette scène toute réaliste, saisie sur le vif ; À la Station du Chemin de fer, est l’un des meilleurs récits de Lafcadio Hearn ; mais le plus beau de tous, Une danseuse, est tiré des chroniques de ce lointain passé où il a mille fois raison, quoi qu’on en dise, de puiser ses inspirations. C’est l’histoire de la courtisane amoureuse.

Au comble de sa célébrité, cette idole d’une capitale disparaît de la vie publique sans que personne sache pourquoi. Laissant la fortune derrière elle, elle fuit, enlevée par un pauvre garçon qui l’aime. Ils se construisent une petite maison dans la montagne ; là, ils n’existent plus que l’un pour l’autre. Mais l’amant meurt par un froid hiver et elle reste seule, sans autre consolation que de danser encore pour lui tous les soirs dans la maison déserte. Car il avait aimé à la voir danser et il devait toujours y trouver plaisir. Donc, quotidiennement, elle place sur la tablette funéraire les offrandes accoutumées et elle danse, la nuit, dans tous ses atours, comme au temps où elle faisait les