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Le lendemain, j’arrivais à la séance prêt à entrer dans une lutte serrée, lorsque je vis Rouher, entouré d’un grand nombre de députés de la majorité qui le félicitaient. On m’apprit qu’il venait de recevoir une lettre de l’Empereur avec une plaque en diamans, et que cette lettre, insérée au Moniteur, serait la seule réponse qu’on ferait à mon discours. En effet, le ministre d’État garda le silence et le Moniteur publia la lettre suivante : « Palais des Tuileries, 13 juillet 1867. — Mon cher monsieur Rouher, je vous envoie la grand-croix de la Légion d’honneur en diamans. Les diamans n’ajoutent rien à la haute distinction que je vous ai conférée depuis longtemps, mais je saisis le moyen de vous donner publiquement une nouvelle preuve de ma confiance et de mon estime. Au milieu de vos nombreux travaux, au milieu des attaques injustes dont vous êtes l’objet, une attention amicale de ma part vous fera oublier, je l’espère, les ennuis inséparables de votre position, pour ne vous rappeler que vos succès et les services que journellement vous rendez au pays. Recevez, mon cher monsieur Rouher, l’assurance de ma sincère amitié. »

A sa réception du soir, la foule vint congratuler le ministre de cette haute distinction. On croyait le voir orné de sa plaque : il ne portait aucune décoration. Un ami s’en étonnant, il appelle un valet de pied, lui parle à voix basse, et quelques minutes après le laquais revient avec un simple ruban que le ministre passe à sa boutonnière : « Vous voyez, dit-il, que je triomphe modestement. » En descendant l’escalier, un conseiller d’État, Bataille, ancien complice des complots de Louis-Napoléon, rencontre Darimon et lui dit : « Rouher se trompe sur la pensée de l’Empereur. C’est surtout son discours sur le Mexique qu’on a voulu récompenser ; prenez note de ce que je vous dis : Ollivier reviendra. »


X

Depuis quelque temps déjà, Rouher était en fait le véritable directeur de la politique de l’Empire, dont l’Empereur ne s’occupait que de haut et à certains momens critiques seulement. Il dirigeait tous les ministres, et les ambassadeurs étrangers traitaient avec lui, depuis que Drouyn de Lhuys était sorti des affaires. Cependant l’Empereur le jugeait bien ce qu’il était. Après une discussion très vive qu’il avait eue en conseil avec