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vainement, et cela n’est pas même désirable. Quis custodiet custodes nisi hostis ? Ce qui doit surtout préoccuper Votre Majesté, c’est de se créer des amis. Pour cela, il existe beaucoup de moyens. Il n’en est pas de plus efficace que de marcher résolument dans les voies nouvelles. J’ai été votre ennemi jusqu’au 24 novembre 1860, je n’ai cessé de l’être que de ce jour. Le 19 janvier, beaucoup ont été sur le point de m’imiter ; si on avait été plus net et plus sincère, ils l’eussent fait. On se flatte de vous ramener en arrière, et l’on s’efforce de rendre mauvaises des lois déjà médiocres. Si on y réussit, ce sera un malheur. Le mouvement en avant est aujourd’hui trop prononcé ; il a trop d’intensité, d’élan, de profondeur, pour qu’il puisse être contenu. Je ne vois plus de place possible entre une dictature dont l’heure est passée et une liberté réelle et sans arrière-pensée. »

Je profitai de la discussion du ministère de l’Intérieur pour m’expliquer au Corps législatif. Je commençai par établir que les réformes du 19 janvier constituaient un progrès : « Sans me prononcer sur la manière dont la loi sur la presse est faite, par cela seul qu’on a accordé à la presse le droit d’exister sans autorisation, et qu’on l’a soustraite à la juridiction administrative, la liberté de la presse est fondée. (Mouvemens divers.) La liberté de réunion accordée pour les affaires industrielles, c’est l’épreuve des sociétés coopératives assurée. La liberté de réunion accordée en matière électorale, c’est la liberté des élections garantie. L’envoi des ministres à la Chambre a encore plus d’importance ; sous une forme modeste, c’est l’établissement de la responsabilité ministérielle telle qu’elle est compatible avec nos institutions. L’introduction des ministres à la Chambre aura encore un autre effet considérable : c’est la suppression d’une institution que je regarde comme l’obstacle le plus sérieux à la libre expansion de la liberté parlementaire, la suppression du ministère d’État. (Ah ! ah ! — Mouvement prolongé !) Ici, messieurs, c’est le cas de dire : Incedo per ignes. (On rit.) Pour définir le ministère d’État, on s’est servi, successivement ou à la fois, de diverses expressions. (Écoutez ! écoutez !) Les uns ont dit : C’est un premier ministre ; d’autres : C’est un grand vizir… (Hilarité.) D’autres : C’est un maire du palais. (Oh ! oh !) Je trouve ces trois expressions inexactes. (Ah ! ah !) Pourquoi ?… Premier ministre, c’est une expression inconstitutionnelle : dans notre Constitution, il n’y a pas de premier ministre. Grand vizir…