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mot d’ordre, s’agitant, s’excitant. Je combattis leur demande de clôture par quelques mots durs et la fis repousser. Mais, dans l’état de tumulte de l’Assemblée, je n’étais pas disposé à prononcer un discours, et encore moins la Chambre à l’écouter. Je ne pouvais cependant garder un silence qui eût paru un manque de parole ; je m’en tins à une brève déclaration que je me réservai de compléter plus tard : « M. le ministre d’État a prononcé des paroles nobles, des paroles loyales. (Oui, oui.) Après les déclarations qu’il a fait entendre, je n’ai qu’un désir, c’est celui de réunir mon vote à ceux qui exprimeront leur confiance et leur satisfaction en votant l’ordre du jour[1]. » (Très bien, très bien, rumeurs diverses.)

Girardin, qui, depuis le 19 janvier, contenait une sourde colère de dépit, de n’avoir pas été appelé lui-même par l’Empereur, assistait à la séance. Il comptait que je ferais du scandale par des jactances personnelles ou par des félicitations railleuses, ou par des réticences et des sous-entendus amers. Il sortit furieux. « Ollivier est fou, dit-il, ou bien il a un portefeuille dans sa poche. — Il n’est ni fou, ni ministre, répondit un de nos amis communs, c’est un honnête homme qui remplit un acte de conscience. — Alors, s’écria-t-il, qu’il se fasse moine et nous laisse tranquilles ! » Et il lança dans la Liberté, le lendemain, un article sur les réserves qui n’avaient pas été faites : « Avant les droits de l’amitié, ceux de la vérité. Le Journal des Débats, à l’époque de la coalition de 1839, laissa échapper ce mot cruel, adressé à M. Guizot : « Vous aurez peut-être encore notre concours, mais vous n’aurez plus notre estime. » C’est le contraire que nous disons à M. Émile Ollivier ; nous lui disons : « Vous aurez toujours notre estime, mais vous n’aurez plus notre concours. » Vous ne l’aurez plus, parce que, chef de l’opposition dynastique, vous avez donné, par votre déclaration de confiance et de satisfaction sans réserve, en pleine tribune, votre démission de ministre de la conscience publique. »

On ne peut s’imaginer le déchaînement qui éclata contre moi après cet abandon de mon unique défenseur : c’était mon Waterloo ; j’étais un imbécile, un misérable, un homme perdu ; voilà le ministère d’Ollivier à l’eau ! Quelques fidèles ne m’abandonnèrent pas. Le prince Napoléon surtout courut chez Girardin

  1. Séances des 26 et 26 février 1867.