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au-dessus des petits intérêts de personnes ou de parti. Quoique décidé à suivre la route dont j’ai tracé le but, il y a quelques mois à Walewski, je voudrais bien causer encore avec vous et Rouher des détails d’exécution. Croyez bien que ce qui me retient n’est ni l’incertitude, ni une vaine infatuation de mes prérogatives, mais la crainte de m’ôter les moyens de rétablir dans ce pays, troublé par tant de passions diverses, l’ordre moral, base essentielle de la liberté. Ce qui m’inquiète au sujet d’une loi sur la presse, ce n’est point de trouver la force qui réprimera, mais la manière de définir dans une loi les délits qui méritent une répression. Les articles les plus dangereux peuvent échapper à toute condamnation, tandis que les plus insignifians peuvent tomber sous le coup de la loi. Là a toujours été la difficulté. Néanmoins, pour frapper les esprits par des mesures décisives, je voudrais d’un coup établir ce qu’on a appelé le couronnement de l’édifice ; je voudrais le faire afin de ne plus y revenir, car il m’importe et il importe surtout au pays d’être définitivement fixé. Il faut marquer résolument le but que je veux atteindre sans avoir l’air d’être entraîné d’années en années à des concessions successives, car on tombe toujours, comme l’a dit M. Guizot, du côté où l’on penche, et je veux marcher droit et ferme, sans osciller, tantôt à droite, tantôt à gauche. Vous voyez que je vous parle avec une grande franchise, vous m’avez inspiré une entière confiance, et mes inspirations me sembleront toujours d’autant meilleures qu’elles seront conformes aux vôtres. Croyez à tous mes sentimens. »

Le plus difficile n’était pas franchi. Il fallait que l’Empereur communiquât son dessein à ses conseillers et résistât aux efforts qu’ils tenteraient indubitablement pour l’en détourner. Magne fut le premier mis au courant. L’Empereur lui demanda même de rédiger un exposé de motifs et un décret. Walewski avait, après cette audience, trouvé l’Empereur tout joyeux : « Cela me donne bon espoir, me dit-il, il est ainsi quand il a pris son parti. Il n’a jamais été plus gai que dans les deux jours qui ont précédé le coup d’État. Lorsqu’il délibère, il est sombre et morose. » Je lui montrai la lettre que j’avais reçue. « C’est un témoignage énorme de confiance ! s’écria-t-il. À quelle heure avez-vous reçu cette lettre ? — À cinq heures. — C’est donc après son entretien avec Magne. Allons, cela marche bien ! »

Cela marcha beaucoup moins bien le 13. L’Impératrice, très