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seulement aux Cours d’assises. On pourrait aussi rendre obligatoire l’interdiction de publier les débats que les tribunaux ont la faculté de prononcer dans toutes les affaires. Il serait plus essentiel encore de modifier le système des peines : pas de prison, ce qui donne un air de martyre ; atteindre la racine du mal. Le journaliste violent pèche par ambition, en vue de se créer un rôle politique, ou par cupidité, dans l’espérance d’accroître le nombre de ses abonnés ; punissez-le au point sensible, prononcez contre lui l’incapacité des droits politiques et l’amende : cela lui paraîtra plus dur que la prison, et ce sera plus efficace. — Mais au bout d’un certain temps les tribunaux se lassent de condamner. — Sans doute, alors c’est un symptôme que quelque chose va mal et un avertissement d’aviser. » L’Empereur reprit : « Les évêques gallicans me demandent la suppression du Monde qui, disent-ils, enflamme les prêtres et les fanatise. Pourrait-on le supprimer avec votre loi ? — Certainement, mais après une condamnation judiciaire, et il n’est pas désirable qu’on le fasse. Les prêtres ne sont pas rendus ultramontains par la lecture du Monde ; ils s’abonnent au Monde parce qu’ils sont ultramontains. »

Nous en vînmes à la loi sur le droit de réunion : liberté de se réunir, excepté sur la voie publique, sans autorisation, moyennant une simple déclaration préalable, en tout temps, quand il s’agira de matières non politiques, et pendant les vingt jours qui précéderont un scrutin électoral. « Ne craignez-vous pas que l’on recommence les clubs ? — Non, Sire, puisque la liberté des réunions politiques n’existerait que pendant les vingt jours qui précèdent une élection. Ces réunions électorales ainsi restreintes ne pourront que profiter au gouvernement ; elles rompront la discipline des partis par la discussion, empêcheront les élections de ressembler à des conspirations et déjoueront les coalitions subversives. — Il y aurait, dit l’Empereur, un meilleur moyen de les déjouer, ce serait de supprimer les scrutins de ballottage et de décider, comme dans la loi de 1848 et comme en Angleterre, que les élections auront lieu à la majorité relative. — Je n’ai pas réfléchi, Sire, à ce moyen. »

J’y ai réfléchi depuis et je regrette de ne m’être pas rallié à l’opinion de l’Empereur, car elle était profondément juste. Les scrutins de ballottage sont la facilité des coalitions subversives, parce qu’ils permettent des rapprochemens monstrueux, que la passion ou l’intérêt rendraient impossibles avant qu’un premier