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arrivent au Parlement, se désignent par leurs succès à la confiance du pays, s’imposent au souverain ; sous le régime autoritaire, le souverain doit rechercher les hommes d’État, les deviner avant qu’ils soient et, inconnus encore, les mettre aux prises avec les grandes responsabilités. C’est ainsi qu’avaient procédé Louis XIV, Napoléon Ier et, à son début, Napoléon III. Maintenant l’Empire tournait à n’être plus qu’une gérontocratie alourdie. Il en résultait que la jeunesse, naturellement encline à l’opposition où l’on recueille la popularité, y était encore jetée par son intérêt, puisque là seulement elle trouverait les moyens de déployer ses talens et de se créer une carrière brillante avant que le sang fût refroidi dans ses veines et que les cheveux eussent blanchi sur sa tête. Un jeune fonctionnaire impérialiste très distingué, attaché au cabinet de Rouher, Fernand Giraudeau, ayant eu le courage de signaler ce mal, fut disgracié. Son remarquable écrit intitulé : La jeunesse et les fonctions publiques sous l’Empire démontre, par des statistiques, que partout où les affaires publiques ont été puissamment conduites, elles l’ont été par des hommes jeunes, dont les ardeurs étaient guidées par l’expérience de quelques, hommes d’âge[1].


II

La conduite à suivre dans la politique générale n’était pas douteuse : il n’y avait qu’à redire ce qui était sur les lèvres de tous les gens clairvoyans que, malheureux ou heureux, imprudent ou habile, aucun acte de la politique étrangère du gouvernement, sauf la guerre d’Italie, n’avait été inspiré par une passion ou une volonté du pays ; qu’on ne ramènerait l’Europe et la France à un

  1. « A son début, le second Empire ayant manifesté l’intention d’agir plus que de délibérer, il semblait devoir rechercher dans ses serviteurs l’activité, l’énergie plus que l’expérience. Parmi les ministres de 1852, plusieurs étaient fort jeunes (Rouher, Morny, Persigny, Walewski, etc.). Il y avait des préfets de 26 ans, un directeur général du personnel au ministère de l’Intérieur de 28 ans. Il fallait continuer ainsi… On s’éloigna peu à peu de ces sages traditions. Les ministres se succédèrent entre eux, se remplacèrent réciproquement. Le Corps législatif a été presque exclusivement composé d’hommes âgés ; le gouvernement n’a presque jamais accordé son patronage à de jeunes candidats dans lesquels il devinait des orateurs ; les talens inattendus qui se sont révélés au Corps législatif n’ont pas été suffisamment encouragés. En l’absence de toute concurrence, en effet, devant un seul candidat, n’entendons-nous pas dire chaque jour : C’est bien l’homme qu’il nous faudrait, plus que tout autre il conviendrait à l’emploi, mais il est trop jeune.