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assez considérable pour défendre la place contre un assaut, mais non pas assez pour influer d’une autre manière sur la suite des événemens.

Quant au passage du Yalou, le seul tort des Russes est d’avoir paru le défendre alors qu’ils étaient résolus à ne pas le faire. Ce tort appartient-il en propre au général Zassoulitch, comme on l’a dit, ou la responsabilité doit-elle être reportée plus haut ? Le général Zassoulitch a-t-il mal compris ses instructions, ou ces instructions ne lui ont-elles pas été données en termes suffisamment explicites ? Peu importe : il y a eu là une faute commise, et les Russes ont perdu plus de monde qu’ils ne l’auraient dû. Mais, pour ce qui est du terrain qu’ils ont abandonné, ils devaient l’abandonner de toute manière, et cette fois encore, l’inconvénient moral a été supérieur à l’échec matériel. Les Japonais, au contraire, ont manœuvré avec beaucoup de correction. Ils n’ont tenté le passage du fleuve qu’après avoir réuni des forces suffisantes pour l’opérer à coup sûr, et avoir pris sur les Russes une supériorité numérique écrasante. Ce qu’il faut remarquer aussi, c’est l’habileté avec laquelle ils ont débarqué au nord de la péninsule du Liao-Toung, à Pitse-Ouo, en même temps qu’ils passaient le Yalou Ils auraient pu débarquer plus tôt, puisqu’ils venaient par mer et qu’ils sont maîtres de la mer ; mais leur corps de débarquement aurait alors couru des dangers, qui avaient cessé d’être menaçans pour lui à partir du moment où l’armée russe, menacée elle-même sur son front et sur son aile droite, se voyait obligée de concentrer toutes ses forces, et d’abandonner provisoirement Port-Arthur à lui-même. Tous ces mouvemens ont réussi ; mais ne s’attendait-on pas à ce qu’ils réussissent, et faut-il, parce qu’ils l’ont fait, se laisser aller au pessimisme ? Il aurait été assurément très désirable que les Russes pussent empêcher Port-Arthur d’être investi ; mais il aurait fallu, pour cela, ou bien qu’ils eussent sur mer une supériorité qu’ils n’avaient pas, ou bien qu’ils portassent toutes leurs forces en avant pour défendre avec elles le passage du Yalou, ce qui aurait été de leur part une grande imprudence. Ce n’était pas sur le Yalou que la partie devait être jouée. Il n’en est pas moins vrai que cette série de revers que, jusqu’à ce jour, aucun succès partiel n’a interrompue a produit une impression pénible, et qu’elle pourrait, en se prolongeant encore un peu, créer un danger sérieux.

Nous disions, en efîet, il y a un moment, que l’imagination du monde asiatique était en travail. En somme, on n’a jamais été bien sûr de l’attitude de la Chine, et ce qui s’est passé ces derniers jours montre