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Autobiographie, ne soit amené à se faire encore les deux réflexions que voici, sur l’origine véritable et sur les chances de durée de tout l’ensemble du Système de Philosophie synthétique :

La première de ces réflexions ressort en droite ligne de ce que nous apprend Spencer sur ses sentimens et ses travaux favoris jusqu’à l’âge de quarante ans, où, comme on sait, l’idée lui est venue d’édifier son système. Non seulement il nous dit que, « né avec un tempérament plus originatif que réceptif, » il a toujours « pris pour devise le mot de Danton : De l’audace, de l’audace, et encore de l’audace ; » non seulement il nous avoue que, s’il avait été astronome, ou naturaliste, il y a nombre de ses théories astronomiques ou biologiques qu’il n’aurait point hasardées : nous voyons en outre que, jusqu’à quarante ans, la philosophie n’a tenu dans sa pensée qu’une place secondaire, tandis que son occupation principale a été d’inventer toute sorte de petits appareils pratiques pour la vie usuelle, ou plutôt des perfectionnemens à tous les appareils, comme à tous les procédés, que les hasards de son existence lui faisaient connaître. C’est ainsi que j’ai compté, dans le tome Ier de son Autobiographie, au moins 24 mentions d’instrumens ou de procédés inventés par le futur philosophe, et se rapportant aux usages les plus divers : en janvier 1836, une nouvelle façon de manier la pompe à air ; à l’automne de la même année, un nouveau modèle de maison de campagne ; en 1838, un nouveau moyen de dresser des plans, une nouvelle manière de vider les étangs ; l’année suivante, une façon nouvelle de projeter les ombres, un nouveau cyclographe, un nouvel appareil pour décharger les wagons, etc. Viennent ensuite, pour citer au hasard, une « épingle à relier, » une canne à pêche, un « céphalographe. » Tout cela extrêmement ingénieux, autant du moins que j’en puis juger ; et cependant le pauvre Spencer reconnaît tristement que, pour différens motifs, au premier rang desquels il cite « l’apparition d’obstacles mécaniques imprévus, » aucune de ses inventions n’a réussi à s’imposer comme il l’aurait espéré. Et nous nous demandons involontairement si l’invention à laquelle il a employé la seconde période de sa vie, y transportant le « tempérament originatif » qui lui était naturel, si l’invention de son Système synthétique ne se heurterait pas, elle aussi, enfin de compte, à des « obstacles imprévus. » Déjà en 1833, dans son enfance, comme il avait longuement exposé à son père sa façon propre de s’expliquer un certain fait d’expérience : « Oui, avait répondu le père, des gens qui ne connaissent point la question seraient très frappés de ton explication ; mais, avec tout cela, elle n’est pas vraie. « La postérité ne réserverait-elle pas un jugement du