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Puisque le même crime a rendu solidaires
Marthe qui vit le Christ, Psyché qu’Éros aima,
Celles qui n’ont aux doigts que les grains des rosaires
Ou les brillans anneaux que l’amour enflamma,

Les recluses en Dieu, saintes désenchantées,
Glissant au petit jour en l’ombre des arceaux,
Les mères, s’endormant au rebord des berceaux,
Les folles que leur lampe éteinte a déroutées.

PORTRAIT D’UNE FEMME INCONNUE


Quel attrait curieux, inquiet et jaloux
Sous ce titre : Portrait d’une femme inconnue ! …
Les yeux pers ou foncés, les cheveux bruns ou roux,
Rêveuse, ou présentant des fleurs dans sa main nue.
Son image persiste et se reflète en nous.

Ce n’est plus une femme humble ou patricienne,
Marguerite ou Thérèse, Angélique ou Ninon,
Si d’un regard chacun pourrait la faire sienne,
Chacun à son désir lui donnerait un nom ;
C’est l’Eve tentatrice et son énigme ancienne ;

C’est la femme en un mot, la femme seulement,
Quoique par un détail l’image soit datée :
Les perles des Valois sur son ajustement,
Ou quelque fanfreluche aux épaules jetée,
Le ruban qui séduit, ou le bandeau qui ment.

C’est la femme ! et le peintre en la première pose,
Qui traça la beauté, le premier en souffrit,
En mettant sur la joue un peu d’ambre et de rose,
En arquant d’un pinceau si léger le sourcil.
Sachant qu’il travaillait pour la métamorphose

Du temps inexorable et du long avenir !
Et qu’il fixait bien moins un charme de jeunesse,
L’épanouissement de ce qui doit finir,
Qu’une forme pour le rêve et pour la caresse
Et la tentation des lustres à venir !