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Le Roi et la Reine, maintenant, montent le grand escalier de pierre à double rampe qui conduit aux appartemens. Pour le service, tous les valets sont là, à leur poste et dans leur costume d’usage ; on dirait une rentrée de promenade ou de chasse. Louis XVI, très souriant, traverse les antichambres, pénètre dans son appartement ; la Reine le suit, et Madame Elisabeth ; et, à sa suite, entrent les six députés dépêchés par l’Assemblée, et aussi Barnave, La Tour-Maubourg et Pétion ; celui-ci, à moitié mort de fatigue, écrasé par la chaleur, haletant de soif, demande à Madame Elisabeth de lui faire servir à boire, et la complaisante princesse s’en occupe aussitôt ; on apporte de la bière ; scène intime. Le Roi fait sa toilette, l’air satisfait ; le député Coroller s’approche, houspille paternellement Sa Majesté. « Ah ! oui ! vous avez fait là une belle équipée ! Ce que c’est que d’être mal environné ! » Et, s’attendrissant, il poursuit d’un ton bourru : « Vous êtes bon, vous êtes aimé... mais voyez quelle affaire vous avez là[1] ! »

On sourit, mais la Reine pousse un cri : elle ne voit pas son fils. « Veut-on le séparer d’elle ? A-t-il été étouffé dans la bagarre[2] ? » Elle l’a quitté dans la voiture, et, depuis, elle ne l’a plus aperçu ; on court, on s’informe ; il y a une minute d’affreuse angoisse ; mais vite on rassure la Reine ; deux députés, Duport et Montmorency, ont porté l’enfant, excédé de fatigue, jusqu’à sa chambre et l’ont remis aux mains de ses serviteurs[3]. La Reine se calme ; elle s’approche de Lafayette et lui présente, non sans une certaine affectation méprisante, les clefs des cassettes restées dans la voiture. Lafayette se défend de les recevoir, protestant que « personne ne pense à ouvrir ces cassettes. » La Reine jette les clefs sur le chapeau que le commandant général, dans une attitude respectueuse, tient serré contre sa poitrine ; il les y maintient, s’excusant « sur la peine que Sa Majesté aura de les

  1. Rapport de Barnave à l’Assemblée.
  2. Mémoires de Weber.
  3. « Les députés Dupont (sic) et Montmorency portaient cet auguste rejeton. Ce bel enfant promenait autour de lui ses yeux inquiets, cherchant ses parens, et semblait demander : « Pourquoi m’avez-vous séparé de mon père et de ma mère ? Pourquoi m’appelez-vous le soutien de la France ? l’espérance des Français ? Pourquoi ces applaudissemens pour moi, pourquoi ce silence pour mon père ? » Louis XVI à Varennes, Nouvelle Revue, 15 mai 1903.