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pour le relais, que sur la Levée, longue et double allée d’arbres qui borde la rivière et la sépare de la vaste place triangulaire du Champ-de-Mars. La municipalité, dès la veille, avait publié la défense « d’adresser à la famille royale aucune insulte ; » des voix grossières pourtant s’élevèrent, criant : — « Louis, Toinette, montre donc ta figure ! » et, pendant l’arrêt de la voiture on « prenait plaisir à faire crier au Dauphin : Vive la Nation ! ce dont le pauvre enfant s’acquittait de bonne grâce[1]. » Ces avanies, d’ailleurs, profitaient aux captifs, en ce qu’elles leur valaient les excuses des commissaires indignés ; ils y gagnèrent, en outre, d’être délivrés pour une étape de leur suante et traînarde escorte ; sur l’ordre de Barnave, à la sortie de Château-Thierry, la garde nationale à cheval, venue de Soissons, barra la route[2] ; la berline et le cabriolet qui la suivait partirent au grand trot[3], entourés seulement de quelques cavaliers servant d’état-major au général Mathieu Dumas. Une heure et demie plus tard, on s’arrêtait à la Ferme de Paris, maison de relais isolée sur la route. Vignon, le maître de poste, eut à fournir trente-huit chevaux[4], ce qui renseigne sur le peu d’importance de l’escorte dont était accompagnée la berline ; on se remit en route sans embarras, à bonne allure, n’ayant à rencontrer, jusqu’à la Ferté-sous-Jouarre, qu’un seul village, Montreuil-aux-Lions, qu’on traversa à fond de train, laissant déçus les groupes de paysans rangés, bouche bée, sur les contre-allées.

L’entretien, dans la berline, se poursuivait « libre et même gai[5]. » Pétion, répondant aux questions du Roi, saisit l’occasion de lui dire « ce que l’on pensait de la Cour, de tous les intrigans qui fréquentaient le Château. » On parla de l’Assemblée nationale, du côté droit, du côté gauche, « mais avec cette aisance que l’on met entre amis. » Louis XVI suivait très intelligemment la conversation, Pétion lui reprochant de ne lire que des feuilles aristocrates :

  1. Histoire de Château-Thierry, par l’abbé C. Porquet, 1839.
  2. « Nous nous sommes séparés de l’infanterie, et nous n’avons gardé auprès de la personne du Roi que les hommes à cheval. Par là, notre marche est devenue beaucoup plus prompte et s’est faite avec le plus grand succès jusqu’à Meaux. » Rapport de Barnave.
  3. Souvenirs de Mathieu Dumas.
  4. Archives nationales, M. 664. En novembre 1791 Vignon, n’était pas encore parvenu à se faire payer.
  5. Toulongeon. Histoire de France depuis la Révolution, t. II, p. 38.