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étaient obstruées d’une multitude mugissante : aucun cri de : Vive le Roi ; mais sans cesse, Vive la Nation ! Vive l’Assemblée nationale ! Quelquefois : Vive Barnave ! Vive Pétion ! La berline pénétra dans la cour de l’hôtel ; on en ferma les portières, dont les clefs furent remises à la Reine. Quatre hommes de la garde nationale de Dormans furent placés en sentinelles pour la nuit autour de la voiture[1].

Au premier étage de l’auberge, la table était servie pour le Roi et sa famille : il avait convié les commissaires de l’Assemblée ; déjà, sans façon, Pétion s’était assis aux côtés de la Reine[2] ; mais Barnave, modestement, déclina l’honneur qui lui était offert, et Pétion dut se lever de table pour aller souper dans une autre pièce avec ses collègues : le Roi leur envoya une bouteille de son vin de Tokaï[3].

Barnave et Pétion passèrent la nuit dans un même lit ; autour de l’auberge, sur la place et dans les rues avoisinantes, grondait la foule tumultueuse[4] : la population de toute la contrée affluait à Dormans, les vivres manquèrent ; il y eut un commencement de révolte, vite apaisé : on but et on chanta en dansant des rondes, jusqu’à l’aurore. Le Roi dormit trois heures seulement, sans se dévêtir, étendu dans un fauteuil. Les cris : Vive la Nation ! Vive l’Assemblée nationale ! qui commencèrent avec le jour, firent une telle impression sur l’esprit du Dauphin qu’il se vit en rêve avec des loups, dans un bois où sa mère était en danger : il se réveilla en sanglotant ; on ne put le calmer qu’en le conduisant chez la Reine ; là, il se laissa recoucher et dormit tranquillement jusqu’au départ[5].

Le vendredi 24 juin, dès cinq heures, Dumas et les trois commissaires passèrent en revue, sur la route de Paris, les gardes nationales, qui les acclamèrent. Avant six heures, sous un soleil étincelant, la famille royale remontait dans sa berline[6] ; Pétion, cette fois, prit place dans le fond de la voiture, entre le Roi et

  1. Souvenirs de Mathieu Dumas.
  2. Biographie universelle, article Barnave.
  3. Souvenirs de Mathieu Dumas.
  4.  » Il fut impossible de fermer l’œil de la nuit par le bruit qui se faisait dans la ville. » Mémoires de Mme de Tourzel.
  5. Mémoires de Mme de Tourzel.
  6. « M. Truet, maire de Dormans en 1791, s’est signalé en se présentant au Roi, qui lui donna sa main à baiser, et en présentant à l’infortuné monarque revenant de Varennes une garde d’honneur et de sûreté. « Essai sur Dormans. par l’abbé Robech, — 1814, — d’après un manuscrit déposé aux Archives de Dormans.