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l’américaine, la paperasserie moderne des bureaux, le téléphone sur toutes les tables, le télégraphe déroulant partout son ruban, tout un personnel affairé et la machine à écrire crépitant sous les doigts d’une fillette agile…

De graves difficultés accueillirent le Consorzio à sa naissance : la question ouvrière était alors à l’état aigu, et c’était l’effet non seulement d’une grosse surabondance de main-d’œuvre, mais surtout d’un brusque passage du régime ancien des corporations ouvrières au régime de la liberté absolue du travail. Les corporations d’ouvriers du port avaient eu longue et heureuse vie à Gênes, comme en témoigne encore la prospérité de cette Caravana dont les privilèges datent de 1340, et qui seule a subsisté. En 1874, toutes les corporations ayant été supprimées, à l’exception de la Caravana de Gênes, comme il fallait bien cependant des intermédiaires entre les patrons et les ouvriers, les fonctions en tombèrent naturellement aux mains des Confidenti, des hommes de confiance des patrons, qui, de simples chefs d’équipe, se firent entrepreneurs de travail, parfois même entrepreneurs de transports. Les ouvriers, comme bien on pense, se montèrent assez vite contre les Confidenti, qui, dit-on, les exploitent sans merci et retiennent au passage le plus clair de leurs salaires. Ils se forment en « ligues de résistance, » créent une « Chambre du travail, » organisations diverses pour l’entretien desquelles ils paient de lourdes contributions, mais qui leur permettent d’imposer aux patrons leurs tarifs et leurs horaires, plus le système du « tour, » c’est-à-dire du rôle général sur lequel les Ligues désignent nominativement les ouvriers pour travailler à tour de rôle, enlevant ainsi tout choix aux patrons, et tout avantage aux bons ouvriers sur les mauvais. En 1901, les organisations de part et d’autre étant complètes, le conflit éclate ; une grève des ouvriers du port, faisant suite à une première grève d’inscrits, dure du 9 juin au 21 juillet, et se termine par la victoire des patrons, qui ont fait venir des ouvriers du Piémont. L’année d’après, nouvel effort des ouvriers contre les Confidenti, trois semaines de grèves, nouvel échec pour les grévistes : ce que voyant, les patrons prennent l’offensive et, trois fois en neuf mois, décrètent le lock out, rejetant une fois pour toutes le système du « tour » et cherchant à briser l’organisation ouvrière.

Il fallait une fin à ces conflits sans fin, aux prétentions des ouvriers et aux coups de tête des patrons. Ce fut le Consorzio qui