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fut difficile à liquider, et ses frères ne laissèrent point échapper cette occasion nouvelle de discussions et de récriminations ; Bernardin dut intervenir pour défendre la part de sa femme, et de tout cela la pauvre Félicité souffrit davantage. Elle s’étiola, et, dans sa froide maison d’Essonnes, les germes de la tuberculose qu’elle avait en elle ne tardèrent pas à se développer ; — de cette tuberculose qui avait tué déjà Sophie, sa sœur, à l’âge de dix-huit ans[1].

A-t-elle voulu divorcer ? Certains l’affirmaient, d’autres le niaient, et cette question ne pouvait sortir du domaine de l’hypothèse, puisqu’on épiloguait sur une lettre, inédite, qui, paraît-il, avait disparu. Nous pouvons aujourd’hui trancher le débat : il a été question de divorce entre le mari et la femme, le document qui le prouve n’est pas perdu, il nous est aujourd’hui donné de le publier : c’est une lettre de Bernardin de Saint-Pierre à sa belle-mère, Mme Didot ; elle est datée du 6 ventôse an VII.

Félicité renonça à son projet, elle continua de dépérir, minée par le terrible mal, auquel son mari semble ne pas avoir cru ; et s’éteignit, après sept ans de mariage, vers la fin de 1799[2]. Bernardin, resté veuf avec deux enfans, n’a point dû souffrir de la mort de sa femme ; il avait été trop désireux de se marier pour renoncer à un tel projet après l’essai qu’il venait de réaliser, en compagnie, il est vrai, d’une femme qui avait tout fait pour le rendre heureux et qui avait été sa servante ; aussi, bientôt après, recommençait-il, avec des expressions identiques, à écrire des lettres d’amour, toutes semblables à celles que l’on va lire, pour Mlle Désirée de Pelleporc, qu’il avait rencontrée dans une institution de jeunes filles, dirigée par Mme de la Maisonneuve. Il avait soixante-trois ans lorsqu’il l’épousa, en brumaire an IX.

Il s’éteignit, le 21 janvier 1814, à Eragny-sur-Oise ; et, comme il avait sans doute converti sa femme à ses propres théories sur le mariage, elle épousa, en secondes noces, Aimé Martin[3], le

  1. Sophie Didot, sœur aînée de Félicité, était née le 1er septembre 1768 ; elle mourut le 14 janvier 1786. Elle avait quatre ans de plus que sa sœur.
  2. C’était en l’an VIII de la République.
  3. Martin (Louis-Aimé), littérateur, né à Lyon en 1786, mort à Paris le 22 juin 1847 ; d’abord professeur d’histoire littéraire de la France des XIIe, XIIIe et XIVe siècles à l’Athénée en 1813 ; secrétaire-rédacteur de la Chambre des députés en 1815, et, peu de temps après, professeur de belles-lettres, de morale et d’histoire à l’École polytechnique, en remplacement d’Andrieux ; destitué en 1831, et nommé conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.