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LES FIANÇAILLES
DE
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
(LETTRES INÉDITES)

Bernardin de Saint-Pierre avait cinquante-six ans, lorsqu’il épousa Félicité Didot, qui en avait vingt[1]. Par l’effet de quel étrange hasard, cette gracieuse et « vivante » jeune fille aima-t-elle cet homme grincheux et âgé ? C’est là un mystère qu’il ne faut point chercher à éclaircir ; et ce qui vient encore le rendre plus impénétrable, c’est que l’être insociable et mécontent que Bernardin avait été durant sa jeunesse, alors qu’il voyageait, qu’il travaillait, qu’il écrivait, resta le même lorsqu’il fut amoureux.

Dès son enfance[2] il avait eu le caractère aventureux et vagabond. A neuf ans, il fuyait le monde, lisait et relisait Robinson Crusoé, les Vies des Pères du Désert, s’isolait et rêvait de devenir ermite ou missionnaire ; ce fut un adolescent quinteux ; il était étrange et maladif, hypocondriaque et fantasque, mais non pas fou, comme le furent son frère et son propre fils. Il ne pouvait vivre au même endroit, tant il était inquiet, agité : il avait douze ans lorsqu’il partit pour la Martinique avec son oncle Godebout. Il revint à Caen pour se préparer et

  1. Félicité Didot était née le dimanche 7 mars 1773, à quatre heures du soir. Elle fut baptisée le lendemain, en l’église Saint-André-des-Arts ; son parrain était M. Onfroy, marchand chapelier, et sa marraine, Mme Didot-Saint-Marc, sa tante.
  2. Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre était né au Havre, le 19 janvier 1737, rue de la Corderie, 47.