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lui était insupportable et il lui répugnait d’accroître les servitudes diplomatiques de son pays. Un violent combat se livra en lui. Il fut décidé à l’acceptation par la perspective des calamités qu’eût amenées son refus : il ne voulut pas qu’on pût lui dire qu’il était l’auteur de la guerre, qu’il n’avait eu qu’à lever la main pour l’arrêter, et que, par ses scrupules, il l’avait laissée passer. A la porte même de la Conférence, il accorda la garantie collective de l’Europe. Dès lors, il ne restait plus de difficultés, et la Conférence, ouverte le 3 mai, était close le 11 par un traité tel que l’avait voulu Bismarck : le Grand-Duché était neutralisé, la forteresse cessait d’être fédérale, le roi de Prusse devait l’évacuer et elle serait ensuite démantelée par le Grand-Duc.

Moustier, ayant pris l’habitude de raconter sa diplomatie à la tribune, vint y annoncer cette conclusion. Il fut écouté dans un silence morne, sans un applaudissement. Quand il dit que le traité assurerait à notre frontière du Nord la garantie d’un nouvel État neutre, les esprits se reportèrent vers cette frontière sur laquelle s’installait un puissant État militaire, et l’on se dit que ce n’était pas la peine d’avoir risqué une guerre terrible et d’avoir troublé le monde tant de jours pour un si mince résultat. La politique des compensations avait commencé témérairement, elle finissait piteusement.

Drouyn de Lhuys se donna le plaisir de signaler à l’Empereur le véritable résultat de la campagne de ses successeurs : « Au lieu d’avoir à disputer le Luxembourg seulement à la Prusse et à l’Allemagne, la France aura devant elle l’Europe tout entière, ses propres engagemens et l’interdiction perpétuelle de l’acquérir par un moyen quelconque. C’est ainsi que, pour un incident de médiocre valeur, nous nous exposons à fermer à notre politique de l’avenir toutes les issues et toutes les perspectives[1]. »


XII

La paix, en ces jours-là, n’a été sauvée ni par la sagesse de Napoléon III, ni par l’habileté de Moustier, ni par les instances de la reine Victoria, ni par les bons offices de Stanley et de Gortchakof, ni par la réunion d’une Conférence européenne.

  1. Note du 14 août 1867.