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gouvernement pour le perdre, le poussent à la guerre, et ses plus ardens serviteurs font de même parce qu’ils voient là l’unique moyen de triompher des difficultés de l’intérieur. » Tout cela se disait dans les salons, dans les clubs, et même à la Cour. « Le comte de Bismarck a osé me dire, écrit avec terreur Benedetti, qu’il craignait que la guerre ne fût dans mes désirs personnels. Il doit avoir trouvé bon de répéter ce propos, car on me fait, dans la société, la réputation d’un foudre de guerre. Je démens ce bruit toutes les fois que je le puis, mais je n’en reste pas moins le plus belliqueux de tous les Français, et plusieurs personnes, avec lesquelles j’entretenais les meilleures relations, observent, à mon égard, une réserve qui semble leur avoir été commandée[1]. » Les Français disaient : « La Prusse enivrée de ses victoires, ne nous refuse pas le Luxembourg parce qu’il est nécessaire à sa sécurité, mais parce qu’elle veut détruire notre prestige, nous provoquer, et profiter de la supériorité momentanée de son fusil pour achever son unité anti-française. » — Et Moustier dénonce Bismarck à l’Europe comme un provocateur dont il saura déjouer les méchans desseins : « S’il a voulu chercher une occasion préméditée de conflit, il ne la trouvera pas. »


XI

Le dépit de l’échec a rendu Moustier injuste : Bismarck ne nous avait ni dupés ni provoqués. De l’aveu même des Allemands, Busch, Sybel, il avait été de mauvaise foi dans l’affaire du traité belge, en feignant de favoriser des desseins qu’il n’adoptait pas. Au contraire dans l’affaire du Luxembourg il était sincère. Benedetti l’affirmait à Moustier au moment même : « Ce que vous a dit le comte de Göltz et le langage du prince de Hohenzollern à Bade confirment ce que je vous ai toujours mandé sur les dispositions du Roi et du comte de Bismarck. Je n’ai jamais douté, et je persiste à croire qu’ils eussent volontiers, l’un et l’autre, consenti à accepter toutes les conséquences de la. cession que le roi des Pays-Bas voulait nous faire du Luxembourg ; ils y étaient déterminés par la conviction que cette acquisition aurait satisfait la France, contribué ainsi au maintien de la paix, et laissé à la Prusse le temps nécessaire pour consolider

  1. Du 13 avril 1867.