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Il lui semblait que rapetissée au Luxembourg, son ambition serait plus aisément satisfaite. « D’ailleurs, disait Benedetti, une fois à Luxembourg, nous serons sur le chemin de Bruxelles ; nous y arriverons plus vite en passant par là[1]. » Moustier, sur l’injonction de Rouher, lui prescrivit de se remettre en campagne et d’obtenir une solution immédiate qu’on pût annoncer aux Chambres. En 1831 Palmerston avait répondu à Talleyrand, demandant aussi le Luxembourg à défaut de la Belgique : « Pas de grignotemens ! pas même un village ! » La première réponse du roi Guillaume, discrètement pressentie, ne fut pas très différente quoique plus embrouillée : dans le cas où nos visées d’extension vers le Nord entraîneraient une guerre, il ne pourrait que promettre une neutralité bienveillante, et lui-même n’évacuerait la forteresse du Luxembourg qu’après son démantèlement.

Moustier repoussa comme offensante cette condition préalable du démantèlement, et il formula le minimum de nos prétentions : « Quelle que soit notre ardeur de donner suite à nos premiers projets, nous ne voulons pas violenter les sentimens du cabinet de Berlin ni le presser de dépasser la mesure de son tempérament. Voici à quoi nous nous réduisons : — « 1° Nous n’avons aucun projet sur les provinces rhénanes. — 2° » Nous n’avons jamais considéré la cession du Luxembourg que comme un moyen efficace qui s’offrait à la Prusse de donner à l’opinion publique en France un légitime et utile apaisement. — 3° Nous sommes toujours prêts à signer le projet d’alliance, tel qu’il a été préparé et rédigé au mois d’août 1866. »

Bismarck, au lendemain d’une guerre fratricide qu’il avait à se faire pardonner, était obligé de ménager l’opinion, et la passion publique était très allumée. On a trop dit qu’il déchaînait ou retenait à son gré la presse allemande ; il excitait certainement quand il y avait intérêt, mais il n’était pas toujours maître de retenir. Il avait eu beau donner pour consigne de ne pas envenimer la question du Luxembourg, on ne l’avait pas écouté. « Le Luxembourg, disait la presse, est une terre allemande qui a fourni trois empereurs ; nous devons la garder, et, dans tous les cas, si nous évacuons sa forteresse, cela doit être sur l’invitation de l’Europe qui nous la confiée et non sur la sommation de la

  1. 7 janvier.