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d’éclat, d’enthousiasme, de lyrisme, a secoué cinquante mille auditeurs d’un frisson et comme d’un transport sacre. « Ecinentes dulcia celsaque, » y est-il dit, « nous chantons des choses douces et des choses hautes. » C’est toute la définition de l’art grégorien. Une douceur céleste s’unit dans le verset « Justus germinabit sicut lilium », au charme, pour ne pas dire au trouble tout moderne du rêve et de la mélancolie. En vérité, je ne sais pas un effet ou, pour parler plus largement, pas un genre, pas un ordre de l’expression sentimentale où ne puisse arriver la mélodie grégorienne. Elle y atteint par des moyens dont la discrétion n’a d’égale que la sûreté. Sur les paroles capitales du Credo : « Et homo factus est, » il a suffi que l’admirable coulée sonore se fît un seul instant un peu plus suave, un peu plus lente, pour qu’aux Incarnatus les plus mystiques ou les plus pittoresques, à celui d’un Bach ou d’un Beethoven, cinq ou six pauvres notes de plain-chant n’eussent rien à envier.

Musique monotone, répètent les ennemis de cette musique. D’aucuns ne craignent pas d’ajouter : musique protestante, et le second reproche a de quoi mettre en joie les artistes et les historiens. On n’avait pas encore assimilé saint Grégoire à Luther pour les condamner ensemble, et jusqu’ici, les caractères propres de l’art grégorien : la mélodie, la vocalité et l’unisson, n’étaient pas regardés comme les signes essentiels du génie musical allemand.

S’il est au contraire un art latin et classique, un art catholique aussi, je veux dire universel, un art qui porte témoignage de l’antiquité, de la pureté, de l’unité de la foi, c’est le chant que, le matin du 11 avril, les voûtes vaticanes ont entendu. Ce jour-là fut de ceux que n’oubliera pas l’histoire de l’art religieux. Pour la première fois peut-être depuis des siècles, depuis la création de la polyphonie, un Pape a célébré la messe pontificale à Saint-Pierre, suivant le rite, — nous ne parlons que de musique, — et selon l’idéal grégorien. La noble basilique a vu s’accomplir en elle une de ces étonnantes conciliations, une de ces harmonies grandioses que Rome seule a le don de réaliser. Sous les formes et comme sous les espèces d’une musique et d’une architecture qui diffèrent l’une de l’autre au point de sembler d’abord contraires et peut-être incompatibles, deux âges, deux âmes du christianisme, plutôt que de s’opposer, se sont fondues. Loin d’écraser les simples mélodies ou de les engloutir, on eût dit que le dôme splendide s’ouvrait au-dessus d’elles pour les attirer plus haut et pour les couronner. Alors entendre et voir fut une merveilleuse occasion de penser. Alors les sons et les formes donnèrent à chacun de nous, avec