Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Français en ont gardé l’impression de la continuité historique, si saisissante pour un peuple ballotté depuis plus d’un siècle par le vent des révolutions et qui, à travers la multiplicité des systèmes et la diversité des régimes, cherche à tâtons la loi de sa vie et la raison d’être de son activité.


IV

« Je suis, dit Méphistophélès à Faust, une partie de cette force qui veut toujours le mal et fait toujours le bien. » La guerre aurait-elle le droit de prendre pour elle cette définition que, dans l’œuvre de Gœthe, l’esprit du mal donne de lui-même, c’est ce qu’au point de vue philosophique et moral, ces quelques observations sur les répercussions de la guerre russo-japonaise parmi les peuples neutres ne suffisent pas pour décider. Sur le terrain pratique des faits, elles nous ont conduits cependant à quelques résultats qui, sans nous autoriser à des conclusions générales, permettent du moins de mieux juger des conséquences de la brusque apparition, dans la vie politique des grandes nations civilisées, de cette visiteuse presque oubliée, la guerre.

Réveillé en sursaut par le bruit d’une bataille voisine, le premier geste de tout homme est de penser à sa défense et de pourvoir à sa sûreté. Les gouvernemens, à la nouvelle de cette guerre qu’ils avaient en vain tenté de prévenir, ont eu un mouvement réflexe de même nature. Ils ont compris que, pour être assurés de la paix, il ne suffit pas de la souhaiter de tout son cœur et qu’une volonté extérieure peut imposer la guerre même aux États les plus déterminés à l’éviter. Aussi a-t-on vu, dès qu’a éclaté le conflit d’Extrême-Orient, la Grande-Bretagne mettre en mouvement ses flottes et augmenter ses forces dans la Méditerranée. L’Espagne elle-même arma, envoya des troupes aux Baléares, aux Canaries, aux alentours de la baie d’Algésiras. En France, on s’avisa subitement qu’il ne suffit peut-être pas, pour sauvegarder tous les intérêts d’un grand pays, de mobiliser les forces de l’État contre « la congrégation ; » on s’inquiéta des escadres et des arsenaux ; on se mit à compter les tonnes de charbon emmagasinées en Cochinchine et à Bizerte, et à houspiller M. Pelletan ; à y bien regarder, on s’apercevrait peut-être que la fissure qui s’est un moment produite dans le « bloc » ministériel, c’est le canon de Port-Arthur qui l’a ouverte. L’Europe