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tâche en Extrême-Orient ; elle pourrait reporter ses forces et son attention sur l’Europe, où tant de problèmes menacent de troubler l’équilibre des puissances et la paix des peuples : et ceci encore pourrait être, pour l’alliée de la Russie, un heureux résultat. Enfin, dans le règlement final des questions pendantes en Extrême-Orient, celui-là aura voix prépondérante qui sera assuré de l’alliance de la Russie, si elle demeure victorieuse ; cette œuvre de pacification et de règlement des affaires chinoises, il ne tient qu’à la France de l’accomplir ; il suffit pour cela qu’elle ne résiste pas aux impulsions du sentiment populaire et qu’elle sache, comme en 1895, prendre franchement l’attitude que lui imposent son honneur et son intérêt.

Ainsi la guerre russo-japonaise a déchaîné en France une campagne contre l’alliance franco-russe, mais en même temps, elle a démasqué les passions doctrinaires des « socialistes » internationalistes et elle les a mis en opposition flagrante avec le sentiment national. En présence du conflit, l’esprit public s’est ressaisi ; on a pu l’amuser quelque temps avec de belles théories, mais il a suffi d’un incident pour lui rendre toute sa pénétrante finesse et toute sa simplicité généreuse. Dans les moelles de notre vieille race ardente et militaire, les nouvelles de la guerre ont fait courir le frémissement des heures de bataille. Toute la France a vibré au récit du combat et de la fin héroïque du Varyag ; et le fait que les marins du Pascal ont prêté assistance aux survivans de cette course à la mort a plus contribué à enraciner l’alliance russe dans les cœurs français que tous les articles de M. Hervé n’ont pu faire pour l’ébranler ; tous les sentimens ataviques de foi, d’amour de la gloire et d’esprit militaire qui constituent le fond solide de l’âme française se sont réveillés au récit de quelques scènes d’une grandeur simple où se révèle le caractère russe : le départ du général Kouropalkine, sa visite à Moscou, au monastère de Saint-Serge, où lui fut remise l’icône sainte qui accompagna jadis Dmitri Donskoï quand il marcha contre les Mongols, et Pierre le Grand, quand il triompha des Suédois. De tels actes, empreints d’une dignité mâle, si éloignés des procédés par trop « américains » du bluff japonais, ont ému notre peuple par ce qu’ils ont de profondément différent de nos mœurs d’aujourd’hui, et en même temps de foncièrement conforme à ce génie traditionnel que l’on réussira peut-être à tuer, mais que l’on ne saurait parvenir à transformer ;