Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureux ne trouvent ni la vie facile et agréable, ni le travail aisé que l’embaucheur leur a promis. L’usine devient, pour les femmes surtout, une véritable prison ; elles y trouvent une pension et un logement, où elles sont livrées sans défense à tous les abus du truck-system ; mal nourries, encore plus mal logées, elles doivent abandonner une partie de leur maigre salaire que retient le patron qui est en même temps logeur. « Les chambres sont misérables, écrit M. Weulersse, décrivant une de ces usines-prisons, les femmes y sont entassées par dix, deux par couche ; leurs couvertures, qu’elles remontent jusque sur la bouche pour se garantir du vent qui pénètre par les carreaux déchirés, sont crasseuses. Aucun secret : je me souviens de la honte qui me prit quand, avec l’ingénieur qui me servait de guide, j’entrai brutalement, en faisant glisser la cloison, dans ces chambres ouvertes presque comme un chenil ou une étable, et dont je surprenais les locataires dans le déshabillé de leur toilette. Enfin, en sortant, je remarque la porte-barrière, flanquée d’une sorte de corps de garde. C’est le poste d’où chaque soir on surveille les mouvemens des pensionnaires. Car elles doivent toutes rentrer avant huit heures du soir, et le travail finit à six : la pension est une caserne ! »

Contre une pareille exploitation, les pauvres mousmés n’ont aucun moyen de résistance : « la police n’hésite pas à les ramasser et, si elles n’ont pas achevé le temps fixé par le contrat qu’on leur a extorqué, elle les ramène à l’usine comme elle ramène à la maison de débauche leurs sœurs du Yochivara[1]. » On exige des ouvriers jusqu’à onze et douze heures de travail par jour sans autre repos que deux jours par mois, et seulement du matin au soir. « Dans toute l’année, cinq jours à peine de congé, au premier de l’an, dont on a besoin pour réparer la machinerie. Les nouvelles lois protectrices limitent la durée du travail des femmes à douze heures ! » Comme les ouvriers, elles travaillent indifféremment de jour et de nuit, et cependant leurs salaires sont dérisoires. Les plus habiles tisseuses d’Osaka n’arrivent à gagner que de 35 à 40 sèn ; et la moyenne ne gagne que 18. Les étonnantes colleuses d’étiquettes des allumetteries arrivent tout juste à gagner 13 sèn dans leur journée. Dans les filatures de coton, les femmes adultes gagnent de 26 à 50 sèn ; les hommes

  1. Quartier des prostituées à Tokio ; celles-ci, comme les ouvrières, sont la plupart du temps vendues par leurs parens.