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mieux, au contraire, ignorer cette malheureuse déclaration, conçus peut-être de manière à défier la représentation nationale, à l’acculer à quelque coup d’Etat ? Laporte, impassible, le terrible papier en poche, attendait : toute l’Assemblée trépignait au bord de ce Rubicon. Ce fut Charles de Lameth qui, le premier, bravement, se lança.

— Il faut lire le mémoire, dit-il.

Aussitôt des cris s’élevèrent : « La lecture ! — Non ! non ! »

— Il est possible, continua Lameth, que ce mémoire, écrit de la main du Roi, contienne des choses fort importantes ; je crois qu’il doit être lu dans l’Assemblée nationale.

Un applaudissement presque général accueillit la proposition ; par un dernier scrupule, Beauharnais demanda :

— Quelqu’un s’oppose-t-il à la lecture ?

— Non ! non !

— Voulez-vous bien, monsieur de Laporte, remettre sur le bureau le mémoire du Roi ?

L’intendant traversa la piste, monta jusqu’à la table ovale, et tira de sa poche un assez fort cahier de papier noué d’une faveur bleu pâle, qu’il remit à Régnier, l’un des secrétaires. Quant au billet, à lui personnellement adressé par le Roi, il demanda que la lecture n’en fût pas publique. Une discussion, sur ce point, s’engagea. Beauharnais transmit à l’Assemblée le vœu de Laporte, et l’on convint, en dépit de quelque opposition, que, le billet étant la propriété de l’intendant, devait lui être remis. La rumeur que l’incident avait soulevée cessa brusquement quand on vit Régnier, se levant, s’apprêter à lire le message royal.

C’est dans le plus absolu silence qu’il commença :

Déclaration du Roi adressée à tous les Français, à sa sortie de Paris...

— Permettez, interrompit Gaultier-Biauzat, député de Clermont-Ferrand. Permettez, ce mémoire est-il signé de la main du Roi ?

Dans l’explosion d’impatience qui accueillit cette interruption, Régnier répondit affirmativement.

— C’est un piège que l’on vous tend, insista Biaurat, vous tombez de piège en piège !

Un tolle général le fît taire ; il se rassit et Régnier recommença