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portes de la ville. Il faut interrompre l’office. Une fenêtre s’ouvre, le Roi paraît, une formidable clameur l’accueille. D’un geste, il demande le silence, et déclare « qu’aussitôt les voitures prêtes, il partira. » Du haut des balcons, cette cour, aux lignes si calmes et si nobles, semble une chaudière en ébullition : de la voûte, sous l’aile droite, qui conduit aux remises, une cohue traîne la berline ; heurtée, poussée, presque portée, elle vient buter au perron de gauche, elle se trouve aussitôt attelée ; la famille royale, sans prendre le temps de toucher au repas que les cuisiniers ont préparé en hâte, s’y jette sous la protection de quelques officiers et des membres de la municipalité[1] ; il est midi quand la voiture royale sort de l’Intendance et s’enfonce dans l’intérieur de la ville : une garde montée l’escorte et lui ouvre un passage dans les rues étroites qui vont à l’Hôtel de Ville et dans la rue de Marne par où l’on sort de Châlons.

On avait fait comprendre aux terribles Rémois que le détour par leur ville était impraticable, et on s’engagea sur la route d’Epernay ; la garde citoyenne châlonnaise et celle de Vitry-le-François encadraient la berline et tenaient à distance la bande assoiffée et mugissante qui s’acharnait à la suivre : jusqu’à Matougues, un certain ordre disciplina le cortège : là, un exprès accouru de Châlons apporta la nouvelle que la ville était au pillage ; « une multitude effrénée a envahi la maison commune, lardé le maire à coups de pique, et mis à sac les magasins d’approvisionnement[2]. » Il faut courir, porter secours, arrêter l’émeute : les gardes nationaux font demi-tour et reprennent en hâte le chemin de Châlons, abandonnant la famille royale à la garde des Rémois...

Ce fut la plus rude étape de son calvaire : les quatre longues heures qu’on employa à franchir les cinq lieues qui séparent Matougues d’Epernay comptèrent, certainement, parmi les plus cruelles du voyage. Le peu qu’on en connaît est à peine croyable :

  1. « La Reine et ses deux enfans, Madame Elisabeth, Mme de Tourzel et les femmes de la suite, se sont remises entre les bras des généreux citoyens qui composaient la garde intérieure de l’hôtel, et qui les rassuraient de leur loyauté et de leur courage en leur promettant secours et assistance, au péril de leur vie.
    « Le Roi, la famille royale et leur suite sont entrés dans le salon où leur dîner avait été préparé à la hâte, mais l’émotion dans laquelle ils se trouvaient ne leur a pas permis de rien prendre. » Procès-verbal de ce qui s’est passé, etc.
  2. Procès-verbal de ce qui s’est passé à Châlons.