Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en son honneur que la haute et noble arche de pierre avait été élevée, et l’on lisait encore, à la lueur des lampions dont, ce soir-là, son entablement était garni, l’inscription gravée vingt et un ans auparavant : — Perstet æterna ut amor. « Que ce monument dure autant que notre amour ! »

Sous la porte, le corps municipal harangua le Roi ; puis, précédant la voiture, entre deux haies de gardes nationaux, il marcha vers la Nouvelle Intendance, à deux cents pas de là, où des appartemens étaient préparés[1].

Marie-Antoinette, en arrivant de Vienne, avait, jadis, logé dans ce palais, un des plus somptueux spécimens de ce charmant style français de la fin du XVIIIe siècle : solide portail à colonnes, superbement écussonné ; hautes fenêtres à petites vitres, décorées, au tympan, d’une élégante guirlande de pierre ; vaste cour d’une régularité magnifique, avec ses trois façades d’une seule architecture, terminées par une balustrade italienne. La berline, malgré la cohue, pénétra dans la cour : au seuil des salons du rez-de-chaussée, illuminés en fête, de jeunes Châlonnaises présentèrent à la Reine des corbeilles remplies de bouquets[2], et s’offrirent respectueusement à la servir : le Roi dut, malgré l’heure tardive, recevoir officiellement les membres de l’administration du département, le tribunal du district, le corps des officiers de la garde citoyenne et de la gendarmerie[3]. Puis, à une heure du matin, on servit le souper[4], auquel assistèrent tous les corps administratifs, hiérarchiquement rangés autour de la table. A deux heures seulement, il fut loisible à la famille royale de gagner les appartemens du premier étage, où l’on avait disposé les chambres à coucher.

Pour la première fois depuis leur sortie des Tuileries, les fugitifs trouvaient des lits. Aucun d’eux pourtant ne se coucha : la réception chaleureuse des Châlonnais, les sentimens royalistes non dissimulés des autorités et particulièrement du maire Chorez

  1. État des dépenses occasionnées dans le département de la Marne pour le passage du Roi.
    « A la femme d’Ogny pour avoir fait préparer les appartemens de l’Intendance pour l’arrivée de la famille royale, 12 livres.
    « Au sieur Machet, tapissier, la somme de 73 livres, pour meubles fournis dans les appartemens de la famille royale. »
  2. Mémoires de Mme de Tourzel.
  3. Procès-verbal de ce qui s’est passé à Châlons.
  4. « Au « sieur Deuillin, traiteur, pour le souper du Roi et de la famille royale, 400 livres. » État des dépenses.