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père le 26 décembre 1848, que les qualités du jeune prince, la pureté et la noblesse de ses intentions, sa franche religiosité, son amour de ce qui est grand et beau, son empire sur lui-même, son tact naturel et son esprit de justice, la simplicité bourgeoise de ses manières, le don de gagner les cœurs par un regard, par une parole, je prévois que toutes ces qualités ne seront pas perdues pour le peuple qu’il sera un jour appelé à gouverner. Je suis persuadé aussi qu’il saura supporter avec résignation toute infortune, même imméritée. »

Ces mots sont écrits à la fin de cette année 1848 où le sang coula dans les rues de Berlin, et où le prince royal de Prusse, considéré comme l’âme du parti militaire et absolutiste, fut obligé de s’expatrier pour calmer les ressentimens populaires. En 1850, la princesse Augusta commit une nouvelle infraction à l’étiquette de cour, en envoyant son fils faire ses études, comme un fils de bourgeois, à l’université de Bonn. Pour tout autre que Curtius, c’eût été la fin de son préceptorat. Mais le précepteur était devenu un ami. Curtius fut une des dernières personnes que Frédéric III appela auprès de lui, en 1888, au moment de quitter Berlin pour aller mourir à San-Remo. « Il m’a cordialement embrassé, écrit-il. Son attitude est merveilleuse. Un mélange saisissant de noblesse et de mansuétude est empreint sur ses traits ; mais la conversation est pénible ; les mots qu’il trace hâtivement avec son crayon sont difficiles à lire. »


IV

C’est à son élève que Curtius dédia le premier volume de son Histoire grecque. Une lettre qu’il lui avait écrite auparavant indiquait le caractère de l’ouvrage et la manière dont l’auteur entendait la science historique : « C’est un livre qui n’est pas fait pour les savans, mais pour tous ceux qui ont le sens de l’histoire, un livre sans remarques, sans bribes de grec et de latin. Il contient les mêmes matières que j’eus un jour l’honneur de vous présenter. Vous ne serez donc pas étonné que je vous demande la permission de vous le dédier, en témoignage de mon fidèle attachement. J’y ai mis ce que j’ai de meilleur, et à qui l’offrirais-je plutôt qu’à vous ? Vous prêtiez une attention bienveillante aux parties que je vous en exposais : j’espère que vous voudrez bien accepter le tout, et que l’intérêt que vous y prendrez ne