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ans après, ayant subi les épreuves réglementaires, il débuta dans l’enseignement supérieur comme privat-docent. C’était l’époque où l’art allemand, après s’être abreuvé de romantisme à la suite des littérateurs et des philosophes, revenait insensiblement à la source antique. Berlin se décorait de colonnades et de portiques, qui juraient avec ses toits pointus et son ciel brumeux. Le difficile problème d’adapter le style ancien à la vie moderne, ce problème qui n’a été complètement résolu que par les artistes de la Renaissance, était la pierre d’achoppement de l’école nouvelle. Il fallait, en effet, dans une combinaison de ce genre, moins de science que de goût, et peut-être, avant tout, une impulsion première et originale, indépendante de tout esprit d’imitation, et retenant par elle-même l’imitation dans de justes limites. Curtius, ressemblant en cela à Winckelmann, avait l’âme remplie de l’idéal grec ; il ne voyait rien au delà, et il en parlait sur le ton persuasif de l’homme qui défend ses plus chers intérêts. Une conférence qu’il fit à l’Académie de chant, le 10 février 1844, charma son auditoire ; et dans cet auditoire se trouvait la princesse royale Augusta, qui cherchait alors un précepteur pour son fils, le prince Frédéric-Guillaume, âgé de douze ans et demi, plus tard empereur sous le nom de Frédéric III.

Un ami de Curtius, dans une lettre que l’éditeur a bien fait de joindre à la correspondance, rend compte de la conférence sur un ton légèrement humoristique. Le sujet était l’Acropole d’Athènes. « D’abord, dans le premier embarras, l’orateur recourait souvent à son manuscrit pour trouver l’expression juste ; mais peu à peu son débit devint plus libre. Enfin il poussa de côté l’importun papier, et alors seulement se déploya toute la force de son discours. Toute l’assemblée fut sous le charme. Pas le moindre chuchotement des Berlinoises, ordinairement si bavardes, n’interrompit le silence. On écoutait, on admirait. Tantôt il décrivait avec les tours les plus aimables le cortège des Panathénées, tantôt il expliquait par les rapprochemens les plus ingénieux la haute destination des monumens de l’architecture grecque, ou il faisait comprendre la beauté plastique de la déesse, comme elle était sortie de l’imagination de Phidias. Bref, la pierre inerte s’animait, et l’Acropole se dressait devant les yeux comme une apparition vivante... La princesse royale de Prusse fit venir aussitôt le professeur Lachmann, pour avoir de lui