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ans après, en 1833, qu’il alla à Bonn. A partir de ce moment, il rend exactement compte à son père des cours qu’il suit et des lectures qu’il fait. Il se partage entre les langues anciennes, l’archéologie, la philosophie et même la théologie. Il écrit, à la fin. de sa première année : « Je lis chaque jour une page d’Homère. » Dans une autre série de lettres, il raconte à sa cousine Victorine Boissonnet ses divertissemens d’étudiant et ses distractions mondaines[1] ; car, ici comme à Lubeck, les loisirs font partie du programme des études. « II est bon de jeter de temps en temps sa gourme, lui écrit-il un jour, sans quoi l’on succomberait sous le poids de la science. » Et il ajoute très sensément : « Par le temps qui court, on risque plutôt de trop apprendre que d’apprendre trop peu : le trop peu se rattrape toujours, mais le trop est une charge dont on ne se débarrasse jamais. »

C’est une excellente habitude chez les étudians allemands de suivre successivement plusieurs universités ; ils échappent ainsi aux inconvéniens d’une direction exclusive. Au mois d’octobre 1834, Curtius se rendit à Gœttingue. Ce n’étaient plus les sites pittoresques des bords du Rhin, faisant diversion à la salle de cours, mais la cité grave, « à l’air vénérable, même un peu vieillote et pédante. » On pourrait se la représenter, ajoute-t-il, sous la figure « d’un savant poudré, que rien n’irrite tant que de voir des jeunes gens suivre un autre chemin que le sentier où il a piétiné pendant des années à la sueur de son front. » Ce fut cependant à Gœttingue qu’il rencontra le premier homme qui ait marqué une trace profonde sur sa jeunesse, Otfried Muller. A Bonn, Welcker avait su l’intéresser à l’archéologie, Brandis à la philosophie ancienne : chez Otfried Muller, il ne trouva pas seulement un guide pour telle ou telle étude spéciale, mais un esprit parent du sien dans la totalité de ses aptitudes natives, et ayant sur lui la supériorité d’une science acquise. « Entendre Muller une fois par jour, écrit-il à son père, c’est un profit inestimable ; il est incomparable comme professeur. Il enchante par la clarté de ses développemens, par la grâce et la vivacité de son débit, par l’abondance et la solidité de son savoir, et on le suit avec enthousiasme dans les domaines scientifiques qu’il féconde

  1. Victorine Boissonnet était d’origine française par son père, qui tenait un commerce de vins, d’abord à Pétersbourg, ensuite à Lubeck, où il épousa la belle-sœur du syndic Curtius.