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le chevalier et qui servait dans l’armée de mer, il donne à sa mère moins de satisfaction. Il est un peu joueur, un peu prodigue, un peu débauché. Il se fait de fâcheuses affaires ; aussi est-elle toujours inquiète sur son compte, « Le chevalier n’a point encore fait de sottise qui soit venue à ma connaissance. Je vis sur cela comme il faudroit vivre sur tout, au jour le jour. » Mme de Maintenon est moins sévère qu’elle. « Vous savez bien, écrit-elle à Mme de Caylus, que j’ai toujours eu de l’inclination pour le chevalier. Les vauriens ne me déplaisent pas toujours, pourvu qu’ils n’aillent pas jusqu’au vice et au manquement d’honneur. » Le chevalier n’alla jamais jusque-là. Sa mère jugea cependant prudent de lui faire quitter Paris pour retourner à son bord. A peine est-il parti qu’elle le regrette et qu’elle pleure.

Sauf ces agitations maternelles, Mme de Caylus menait une vie tranquille, et cette vie n’avait rien qui lui déplût. Voici comme elle la décrit : « Je me lève, c’est-à-dire je m’éveille à huit heures ; je prie Dieu dans mon lit ; j’y fais ma lecture et ensuite mon petit déjeuner ; quand je me sens vigoureuse, je vais à la messe, et, quand j’en suis revenue, j’écris, si j’ai à écrire, et je donne vogue à mes affaires... Je dîne, je soupe seule ou avec mon fils. Pour l’ordinaire, après mon diner, mon fils et moi, nous jouons ensemble au trictrac. Je cause avec lui ; je travaille ; il me fait la lecture ; sur les quatre ou cinq heures, il me vient du monde, quelquefois trop ; à huit heures, tout part ; je demeure dans la solitude. » Cependant elle ne pouvait se défendre de donner encore quelquefois à souper, et Mme de Maintenon se reprochait de l’induire en tentation, en lui envoyant des produits de la basse-cour de Maintenon. « Votre lettre, lui écrit-elle, m’a fait sentir deux mouvemens très différens : le premier a été quelque joie du succès de mon veau, et qu’il fût mangé par de si honnêtes gens, sentiment assez noble ; celui qui l’a suivi ne l’est pas tant ; j’ai pensé que ce que je fais pour vous épargner de l’argent vous fournit le prétexte de tenir table, ce qui a toujours été votre folie. » On peut, tout en étant devenue dévote, demeurer un peu gourmande. C’était peut-être le cas de Mme de Caylus.

Des sentimens plus nobles, pour reprendre l’expression de Mme de Maintenon, que des préoccupations d’argent ou de basse-cour agitent cependant la tante et la nièce. Dans la correspondance de Mme de Maintenon en particulier, on trouve le reflet des événemens petits et grands qui marquent ces premières