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épousa la fille de Morin dit le Juif, dont l’autre fille avait épousé le maréchal d’Estrées, car en ce temps-là, tout comme de nos jours, les partisans trouvaient à bien marier leurs filles. La nouvelle Mme de Dangeau, qui avait vingt-deux ans, était de la maison de Bavière, mais d’une branche qu’un mariage morganatique avait réduite à porter le titre de comtesse de Lowenstein. Chanoinesse d’un chapitre en Bavière, ce qui lui donnait le droit « d’être appelée Madame et de porter un ruban couleur de feu, comme les hommes portent le cordon bleu, » elle avait été amenée en France par son oncle, le cardinal de Furstenberg. La Dauphine, qui elle-même était Bavière, l’avait prise pour fille d’honneur, et avait donné son consentement au mariage. Mais quand elle apprit qu’elle avait été mariée sous le nom de Sophie de Bavière, et qu’elle avait signé ainsi au contrat, elle entra dans une fureur qui fit peur à Louis XIV lui-même. Pour la désarmer, il consentit à ce que l’acte de mariage que la Dauphine s’était fait apporter, et qu’elle avait commencé à brûler, fût supprimé et remplacé par un autre où la prétendue Sophie de Bavière serait qualifiée Lowenstein. À ce prix, elle accorda son pardon. C’était là, pour la nouvelle marquise de Dangeau, un début dans la vie assez pénible. La faveur dont elle fut bien vite environnée dut le lui faire oublier

Les contemporains sont unanimes à célébrer la grâce et à faire l’éloge de la vertu de Mme de Dangeau. « Elle étoit belle comme les anges, dit l’abbé de Choisy, dans une jeunesse riante, une taille fine, les yeux bleus et brillans, le teint admirable, les cheveux du plus beau blond du monde, un air engageant, modeste et spirituel. Elle avoit eu une fort bonne conduite dans une place fort glissante (celle de fille d’honneur), et les petites fautes de ses compagnes n’avoient pas peu contribué à faire valoir son mérite[1]. » « Jolie et vertueuse comme les anges, dit de son côté Saint-Simon, une figure de déesse dans les airs ; douce, bonne d’un bon esprit et dont la bonté lui tenoit lieu d’étendue[2]. » Et ailleurs : « Jolie comme le jour et faite comme une nymphe, avec toutes les grâces de l’esprit et du corps. » Il n’est pas jusqu’à la sévère princesse Palatine, qui n’ait été désarmée par tant de grâces : « Mme de Dangeau, dit-elle dans sa Correspondance

  1. Mémoires de l’abbé de Choisy, édition de 1888, t. I, p. 193.
  2. Saint-Simon, édition Boislisle, addition au Journal de Dangeau, t. I, p. 316.