Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenir de l’Hélène d’Homère. Ce poète, pour faire connaître les effets de sa beauté et de son esprit, feint qu’elle jetoit dans le vin une plante rare qu’elle avoit rapportée d’Egypte, et dont la vertu faisoit oublier tous les déplaisirs qu’on avoit jamais eus. Mme de Caylus menoit plus loin qu’Hélène. Elle répandoit une joie si douce et si vive, un goût de volupté si noble et si élégant, dans l’âme de ses convives, que tous les caractères paraissoient aimables et heureux, tant est surprenante la force ou plutôt la magie d’une femme qui possède de véritables charmes. »

À ces soupers, bien qu’il fût converti, assistait quelquefois Racine, qui n’oubliait pas d’avoir écrit pour elle le prologue de la Piété d’Esther. Il aurait pu s’y rencontrer avec La Fare, l’un des plus fins et des plus appréciés dans cette petite coterie de voluptueux qui se groupait autour des Vendôme. La Fare ne parle point d’elle dans ses Mémoires, mais il lui adressait ces vers souvent cités :


M’abandonnant à la tristesse,
Sans espérances, sans désirs,
Je regrettais les sensibles plaisirs
Dont la douceur enchanta ma jeunesse.
……………….
Alors j’aperçus dans les airs
L’enfant maître de l’Univers
Qui, plein d’une joie inhumaine,
Me dit en souriant : « Tircis, ne te plains plus.
Je vais mettre fin à ta peine :
Je te promets un regard de Caylus. »


Une jeune femme élevée sous l’aile de Mme de Maintenon, à laquelle cette tante austère s’était fait fort « d’apprendre à lire, à écrire, à travailler et à prier Dieu[1], » et qui avait respiré l’air de Saint-Cyr, ne pouvait mener longtemps une existence de cette nature sans trouble de conscience. Le XVIIe siècle a été celui des grands entraînemens, mais aussi celui des grandes pénitences, et il en était, à la Cour même, dont Mme de Caylus avait pu être témoin. C’était aussi le siècle des grands directeurs, de ces prêtres, amis des âmes, intelligens de leurs besoins, surtout des âmes de femmes, qui savaient prendre sur elles une influence puissante, soit qu’ils fussent assez heureux pour les préserver de

  1. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, t. I, p 126. Lettre au marquis de Villette.