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trop en vue pour qu’une liaison avec lui pût passer inaperçue. Or, par malheur pour Mme de Caylus, si le fond des choses n’était guère changé, et si le diable n’y perdait rien, depuis le règne de Mme de Maintenon, on tenait davantage aux apparences, et Mme de Caylus mit les apparences contre elle. Saint-Simon parle « des saillies trop publiques » de sa conduite. Elle fut compromise dans une aventure dont nous ne savons pas le détail, car il ne nous la conte pas, mais à laquelle, par une réunion piquante, se trouva également mêlée une des filles de la duègne qui avait été chargée de veiller sur elle. La nièce de Mme de Maintenon et la fille de Mme de Montchevreuil donnant, toutes les deux en même temps, lieu à scandale, c’était trop ! Il fallait faire un exemple, et Mme de Caylus fut renvoyée de la Cour.

Force lui fut de se réinstaller à Paris, dans l’hôtel qu’elle avait habité avec son mari, rue de Vaugirard. Là elle mena pendant quelques années une existence libre, élégante, voluptueuse même, si l’on veut bien attacher à ce mot un sens un peu noble. Elle donnait à jouer, bien qu’elle ne fût pas toujours en état « de soutenir son jeu, » et aussi à souper, car, encore mieux que le jeu, elle aimait la table, où, dit le même Saint-Simon, « elle étoit charmante. » C’est ce que confirme un troisième portrait d’elle qui la peint manifestement à cette époque de sa vie, et que nous empruntons encore à un abbé, car aux abbés, comme aux maréchaux, Mme de Caylus paraît avoir eu le don de plaire. L’abbé Gédoyn (un abbé qui avait été bien avec Ninon), faisant un jour une lecture à l’Académie française sur l’urbanité, désignait Mme de Caylus en remarquant que « de toutes les personnes qu’il avait connues, il n’en étoit aucune qui rendît d’une manière si vive ce qu’il entendoit par ce mot, » et il complétait sa lecture par un portrait[1] où elle était louée en ces termes :

« Dès qu’on avoit fait connaissance avec elle, on quittoit sans y penser ses maîtresses, parce qu’elles commençoient à plaire moins, et il étoit difficile de vivre dans sa société sans devenir son ami et son amant... Après avoir admiré la droiture de son bon sens dans les conversations sérieuses, si on se mettoit à table, elle en devenoit aussitôt la déesse. Alors elle me faisoit

  1. Le portrait qu’on trouve dans les Œuvres diverses de l’abbé Gédoyn (Édition de 1743, p. 229) n’est pas de l’abbé lui-même, mais de Rémond, qui fut introducteur des ambassadeurs sous la Régence. N’oublions pas, en lisant ce portrait, qu’on disait autrefois amant comme nous disons aujourd’hui amoureux.