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Mme de Caylus parle de Mme de Montchevreuil, on sent la rancune qu’elle avait gardée de cette surveillance : « C’était, dit-elle, une femme de mérite, si l’on borne l’idée du mérite à n’avoir point de galanteries ; d’ailleurs froide et sèche dans le commerce, d’une figure triste, d’un esprit au-dessous du médiocre et d’un zèle capable de dégoûter les plus dévots de la piété[1]. » Surveiller, à la cour de Louis XIV, une aussi jeune femme était chose plus difficile encore que de conduire les filles d’honneur de la Dauphine, dont Mme de Montchevreuil était gouvernante, surtout quand la jeune femme était de celles dont la beauté, le charme, l’esprit attirent tous les regards. « Les jeux et les ris brilloient à l’envi autour d’elle, dit l’abbé de Choisy dans ses Mémoires. Son esprit étoit plus aimable encore que son visage ; on n’avoit pas le temps de respirer ni de s’ennuyer quand elle étoit quelque part. Toutes les Champmeslés du monde n’avoient point ces tons ravissans qu’elle laissoit échapper en déclamant, et si sa gaieté naturelle lui eût permis de retrancher certains petits airs un peu coquets que toute son innocence ne pouvoit pas justifier, c’eût été une personne toute accomplie[2]. »

Le témoignage de Saint-Simon n’est pas moins favorable. « Jamais un visage si spirituel, si touchant, si parlant, jamais une fraîcheur pareille, jamais tant de grâces ni plus d’esprit, jamais tant de gaieté et d’amusement, jamais une créature plus séduisante[3]. » Tant de charmes dans la personne, tant d’éclat dans l’esprit, relevés par une pointe de coquetterie, ne pouvaient demeurer sous le boisseau à une cour comme celle de Louis XIV, alors surtout qu’un peu imprudemment peut-être, Mme de Maintenon l’avait produite sur le théâtre de Saint-Cyr, où elle joua successivement tous les rôles d’Esther. Elle joua même trop bien, car son jeu, comme le dit l’abbé de Choisy faisait penser à celui de la Champmeslé, et bientôt elle fut retranchée du nombre des actrices. « Elle faisoit trop bien : elle étoit trop touchante, écrivait Mme de Sévigné à sa fille ; on ne veut que la simplicité toute pure de ces petites âmes innocentes. »

Un peu d’innocence, au moins suivant Mme de Sévigné, manquait donc à Mme de Caylus, durant ces années de 1689 à 1696 où elle brillait à Versailles. Elle y brillait même avec

  1. Souvenirs, p. 91.
  2. Mémoires de l’abbé de Choisy. Édition de 1888, t. I, p. 191.
  3. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XII, p. 328.