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que, sous prétexte du droit de l’enfant, on enlève aux parens celui de les confier aux maîtres de leur choix ?

La jeune Marthe-Marguerite fut donc élevée, non seulement sous les yeux de Mme de Maintenon, mais par elle, avec un soin dont Mme de Caylus se loue dans ses Souvenirs : « Ma journée étoit remplie par des maîtres, la lecture et des amusemens honnêtes et réglés. On cultivoit ma mémoire par des vers qu’on me faisoit apprendre par cœur, et la nécessité de rendre compte de ma lecture ou d’un sermon, si j’en avois entendu, me forçoit à y donner de l’attention. Il falloit encore que j’écrivisse tous les jours une lettre à quelqu’un de ma famille, ou à tel autre que je voulois choisir, et que je la portasse les soirs à Mme de Maintenon, qui l’approuvoit ou la corrigeoit, suivant qu’elle était bien ou mal. En un mot, elle n’oublioit rien de ce qui pouvoit former ma raison et cultiver mon esprit[1]. »

Il ne suffisait pas de bien élever la jeune fille ; il fallait encore la bien marier. Il se présenta beaucoup de partis et des plus sortables, entre autres le marquis, depuis duc de Boufflers, le futur défenseur de Lille, qui, militaire plein d’honneur, mais habile courtisan, ne croyait pas inutile de s’assurer la protection de la grande favorite en épousant sa nièce. Mme de Maintenon refusa ce parti comme trop brillant pour une personne de sa famille. Elle aurait pu, ainsi que le dit spirituellement Sainte-Beuve, « ne pas faire payer à sa nièce les frais de sa vertu, » d’autant plus qu’avec les années ses scrupules s’évanouirent, et qu’elle ne repoussa nullement les avances des Noailles, lorsqu’ils recherchèrent pour leur fils, le comte d’Ayen, la main de son autre nièce, Mme d’Aubigné. Elle aurait pu, tout au moins, faire pour elle un meilleur choix que celui de Jean-Aimé de Tubières, comte de Caylus. Assurément, il était de grande naissance, appartenant à la même famille que Caylus, le menin de Henri III, qui périt dans un duel tragique. Mais il n’avait que cela pour lui. De ce mari dont elle eut beaucoup à souffrir, Mme de Caylus a eu le bon goût de ne rien dire. C’est par Saint-Simon et par d’autres encore que nous savons qu’il était toujours « blasé et hébété de vin et d’eau-de-vie. » C’était de plus un prodigue, et il avait fort mauvais caractère. Dès le lendemain de ce mariage qu’elle avait fait, on voit Mme de Maintenon intervenant dans les affaires du ménage et cherchant

  1. Souvenirs, p. 25.