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guerre du Transvaal a provisoirement refroidi pour les entreprises coloniales : cependant il, a fini par y réussir et on a déclaré à Londres : 1° que le Thibet devait être indépendant ; 1° que, si une influence y prédominait, ce devait être celle de l’Angleterre. On comprend ce que cela veut dire. L’indépendance du Thibet n’est pas absolue ; il y a entre ce pays et la Chine un lien de vassalité ; mais la suzeraineté chinoise s’exerce dans des conditions assez platoniques. Elle ne saurait être une gêne, pas plus d’ailleurs qu’elle ne pourrait être une garantie efficace pour le Thibet. Quoi qu’il en soit, il y a là un terrain d’intrigues où deux diplomaties pouvaient s’exercer l’une contre l’autre. Dans les circonstances actuelles, c’est-à-dire pendant la guerre d’Extrême-Orient, la diplomatie russe était condamnée à n’être pas très active, ni par conséquent très dangereuse ; mais les Anglais n’en ont tiré qu’une conséquence, à savoir qu’ils avaient les coudées franches et que le moment d’intervenir s’offrait à eux. Ils en ont profité, oubliant un peu que d’autres nations, et la Russie elle-même, avaient assisté pendant deux ans aux péripéties de la guerre sud-africaine sans tirer avantage des embarras qu’elle leur causait. Lord Curzon a obtenu l’autorisation de faire son expédition, et il l’a faite sur-le-champ. En somme, son but est de prouver aux Thibétains que les Anglais sont plus près et plus forts que les Russes, et que c’est avec eux qu’il faut s’entendre. Mais cette démonstration coûtera assez cher, et nous ne sommes pas sûr qu’elle soit pour les Anglais aussi rémunératrice qu’ils l’imaginent. Beaucoup d’entre eux, il y a peu de temps encore, la jugeaient inutile, et peut-être n’est-elle devenue nécessaire que lorsque la gloire de lord Curzon y a été intéressée.

Elle nous apprendra du moins beaucoup de choses inconnues. Le Thibet a été jusqu’à ce jour la région la plus ignorée de l’Univers. On compte les quelques très rares Européens qui ont pu aller jusqu’à Lhassa. Tout est mystérieux dans ce pays que la nature a rendu presque inaccessible, et que la religion et les mœurs de ses habitans ont encore plus hermétiquement fermé aux entreprises et aux curiosités du dehors. Mais tout cède aujourd’hui à la poussée de plus en plus pesante de l’Europe sur l’Asie. Le nord du continent est occupé par les Russes, et la plus grande partie du Sud par l’Angleterre ou par la France. Le centre maintenant est attaqué. Dans quelques années, le Thibet n’aura plus de secrets, et qui sait si le Dalaï-Lama et le vice-roi des Indes n’échangeront pas de courtoises visites ?


Si nous ne disons que quelques mots de l’arrangement que