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d’aborder dans leurs œuvres les problèmes politiques ou sociaux à l’ordre du jour. Et, à côté d’eux, se constituaient activement des genres littéraires appelés bientôt à de hautes destinées : notamment l’histoire, dont on peut dire qu’elle est née à la littérature avec les célèbres ouvrages de Hume, de Robertson et de Gibbon. L’exotisme, l’archaïsme, acquéraient une vogue universelle. Après avoir publié un roman chinois (1761) et une traduction de vieux poètes islandais (1763), Percy faisait paraître en 1765 ses célèbres Reliques, dont l’action devait être plus profonde encore, et plus efficace sur les poètes de la génération suivante, que celle du non moins célèbre Ossian de Macpherson (1762). Si bien qu’aux environs de 1790, le travail de transformation se trouvait achevé ; les idées dominantes du XVIIIe siècle avaient cédé la place à d’autres idées ; les divers genres anciens étaient parvenus au terme fatal de leur évolution : la littérature anglaise était prête pour la marche nouvelle qu’allait lui imposer maintenant le génie des poètes et des conteurs romantiques.


Telle est, en résumé, l’histoire que nous raconte le dernier livre de Leslie Stephen : une histoire infiniment positive et sérieuse, se révélant pour ainsi dire d’elle-même sous la comparaison scrupuleuse des dates, et cependant toujours active, variée, pleine de péripéties émouvantes ou piquantes. Mais d’autant plus, en la lisant, on est tenté de songer à ce qu’elle aurait pu devenir entre les mains d’un meilleur écrivain, ou simplement plus habile à animer de vie les hommes et les choses. Car l’honnête Leslie Stephen avait beau faire profession d’être un « biographe » : il ne croyait pas suffisamment à cette quantité « impesable » qu’est une personne humaine pour parvenir jamais à en évoquer une image vivante.

Qu’il s’agisse de poésie ou d’histoire, de critique ou de roman, l’agnosticisme est décidément une école fâcheuse pour un écrivain ; et il n’y a point de science si sûre, ni de si précieuse méthode, ni d’intelligence si claire, qui puisse le mettre en état de nous émouvoir, si, par-dessus tout cela, il ne prend pas l’habitude d’accepter ingénument pour vraies maintes choses qu’il ne peut « mesurer » ni « peser. »


T. DE WYZEWA.