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forme de roman se constitue là qui, destinée à durer glorieusement pendant plus d’un siècle, suffirait à elle seule pour donner à cette période un éclat et une importance historique incomparables.

Et ce n’est pas tout. De même que, pendant la période précédente, de nouveaux courans se dessinent dans l’ombre, des sources nouvelles d’inspiration s’entrouvrent timidement, qui, plus tard, vont s’étendre, déborder et pousser la littérature anglaise sur des chemins nouveaux. Vers 1750, le goût des collections d’antiquités, jusqu’alors raillé comme une manie, se propage à tous les degrés de la société anglaise. Walpole se fait bâtir à Strawberry Hill un « petit château gothique. » Thomas Warton entreprend d’écrire l’histoire des origines de la littérature anglaise. Homère, même remanié par Pope, perd de son prestige, au profit de Shakspeare et du vieux Chaucer. Et c’est déjà une nature presque « naturelle » qui se reflète dans les gentils poèmes de Collins et de Gray.

La période suivante, qui clôt le XVIIIe siècle, produit au premier abord une impression de vide, surtout quand on l’oppose à la brillante fécondité de la période précédente. C’est le temps de Johnson, de miss Burney, et de Cowper, successeurs bien médiocres des grands écrivains que j’ai nommés tout à l’heure. Seuls Goldsmith et Sterne, au début de la période, méritent encore de prendre place parmi les véritables créateurs de beauté : car des maîtres tels que Burns, Coleridge et Wordsworth ne peuvent plus guère être considérés comme appartenant au XVIIIe siècle. Mais cette période, si elle n’a point produit d’œuvres, a été remplie, en revanche, par un puissant travail de préparation, dont les effets se sont fait sentir dès le début et durant tout le cours du siècle suivant. La vie et les idées, les goûts et les mœurs, tout s’est transformé, et non point brusquement, comme chez nous sous l’influence de la Révolution, mais par une série d’évolutions lentes et suivies. Le développement de l’industrie a attiré l’attention publique sur les problèmes sociaux, en même temps que la guerre d’Indépendance et la Révolution française révélaient à la nation un idéal démocratique tout différent de l’ancien libéralisme des whigs. Adam Smith, Bentham, Burke, trouvaient plus de lecteurs ou d’auditeurs que n’en avaient jamais trouvé un Fielding ou un Tillotson. Tous les esprits s’imprégnaient d’une curiosité « encyclopédique, » et force allait être dorénavant aux écrivains de tenir compte de ce phénomène nouveau. Dans le fameux « club » du Dr Johnson se trouvaient représentés les sciences et les arts, la politique, le barreau, l’église, le théâtre, la grande et la petite propriété. Romanciers et poètes se croyaient tenus