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littéraire, tout de suite l’état de désorganisation de la comédie était apparu clairement ainsi que son impuissance à incarner dorénavant les idées et les émotions nouvelles qui aspiraient à être traduites en littérature. Et au règne des poètes dramatiques ou comiques le règne des « beaux esprits » avait succédé.

Puis est venue une seconde période, allant de la mort de la reine Anne (1714) jusqu’à la chute de Walpole en 1739. Un travail de différenciation nouveau s’est produit aussi bien parmi les lettrés que parmi le public. Des « beaux esprits » du règne précédent, les uns ont aspiré à former une sorte d’aristocratie de goûts et de pensée, tandis que les autres, sous l’influence de leur tempérament ou sous l’effet des circonstances de leur vie, ont accentué leur caractère bourgeois et plébéien. Et ainsi deux écoles se sont constituées, avec des principes et des procédés absolument opposés : deux écoles dont les représentans les plus parfaits ont été Alexandre Pope et Daniel Defoe. Et déjà, plus ou moins nettement, (autour de ces deux écoles, s’annoncent des tendances nouvelles, qui vont bientôt introduire un esprit nouveau, à la fin, dans le classicisme rationaliste de Pope et dans le réalisme démocratique de l’auteur de Moll Flanders et de Robinson Crusoé. Le sens de la nature naît et se développe ; l’arrivée à Londres de poètes écossais ouvre à l’Angleterre des sources d’inspiration jusqu’alors ignorées ; et sans cesse davantage le « solide sens commun » de John Bull se mêle de velléités poétiques et sentimentales.

Ce sont ces tendances nouvelles que nous voyons triompher dans la période suivante (1739-1763). Au facile et élégant rationalisme de Bolingbroke se substitue l’évangélisme austère de Wesley (1738). De l’Essai sur l’Homme et de la Boucle de Cheveux enlevée de Pope, la faveur publique passe aux Nuits d’Young et au Tombeau de Blair, tandis que, d’autre part, le roman, après avoir été un pamphlet avec Swift et une peinture de la vie réelle avec Defoe, devient, avec Richardson, une école de vertu bourgeoise et de sensiblerie. Une période romantique semble vouloir commencer dès ce moment dans la littérature anglaise : mais alors le « solide bon sens » national réagit contre elle, et oppose aux déclamations de Richardson le réalisme cynique de Fielding et de Smollett. Le roman retourne à sa direction première, en apparence du moins : car, en réalité, cette régression est un progrès, et le roman de Fielding, sous des dehors semblables, diffère déjà plus profondément de Gil Blas ou de Moll Flanders que ne va différer de lui le roman de Dickens et de Thackeray. Une grande