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C’est ce rêve, dont elle connaissait la force, pour lui devoir la royauté, que la dynastie des Tudor poursuivit de sa défiance. Elle veut détruire une nationalité si résistante et s’attaque à l’âme même. Jusqu’ici, l’autorité anglaise avait frappé les Gallois dans leur puissance territoriale, dans leur organisation administrative, dans leurs lois ; elle essaie, cette fois, de les atteindre plus profondément et s’attaque aux mœurs, aux traditions, au langage même, suprême expression de l’identité nationale. « Ce gouvernement, qui encourageait de tous ses efforts la traduction de la Bible, ne la fit point traduire en langue galloise ; au contraire, quelques personnes du pays, zélées pour la nouvelle réforme, ayant publié à leurs frais une version des Écritures, loin de les en louer, comme on eût fait en Angleterre, on ordonna la destruction de tous les exemplaires, qui furent enlevés des églises et brûlés publiquement[1]. » Plus tard, lorsque la reine Élisabeth revient sur cette manière de voir et incite, au contraire, à la traduction de la Bible, ce n’est point que son zèle religieux l’emporte sur sa passion politique : celle-ci même y trouve son compte, comme on le voit d’après le « proviso » annexé à un acte du Parlement de 1563, et qui enjoint aux cinq évêques gallois de veiller à ce qu’une bible anglaise et un Prayer-book anglais soient placés dans chaque église de Galles, afin que ceux qui les comprennent puissent les lire, et aussi que ceux qui ne les comprennent pas puissent, par la comparaison des deux langues, arriver le plus tôt possible à la connaissance de la langue anglaise. Dans cette intention, le traducteur du Nouveau Testament, William Salisbury, avait déjà publié, avec dédicace à Henri VIII, un dictionnaire gallois-anglais. Il ne saurait donc y avoir de doute sur les dispositions des Tudor à l’égard de la langue galloise. Henri VIII en interdit l’usage en justice et décrète « que dorénavant nul ne pourra, s’il use du parler gallois, jouir d’aucun fief ou office en Angleterre, Galles ou autre domaine du roi, sous peine d’être forfait desdits fiefs, ou offices, à moins qu’il n’ait connaissance et usage de la langue anglaise. » Cette dynastie ne se montra pas plus favorable aux traditions et aux souvenirs de tout ordre, archives privées ou publiques, antiquités et curiosités. On devenait suspect, nous dit Augustin Thierry, « en allant s’établir dans le pays de Galles : ce fut le

  1. Augustin Thierry, Histoire de la Conquête de l’Angleterre.