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mètres, il n’y en a pas de plus sacrée. Les anciens bardes gallois croyaient qu’il suffisait de s’y endormir pour se réveiller inspiré. Quand je la vis se détacher dans un enchevêtrement de pics, elle s’enveloppait de vapeurs, et l’on eût dit que les sommets voisins élevaient vers elle un hommage avec des fumées d’encens. Le cocher se retourna, et la désignant de son fouet prononça religieusement : Snowdon ! Nous suivions en voiture la passe de Lanberis, et la cime à peine entrevue avait disparu déjà tandis que nous contournions le massif. Les monts gallois avaient des teintes fanées d’automne, des teintes de gazon vert qui devient feuille morte et dore l’aridité des roches grises. Le soleil les caressait d’une lumière rayée d’ombres ; et seul, sur le ciel léger où moutonnaient des flocons blancs de nuages, Craigeri[1], le « pic neigeux » restait presque noir…

Du sein de ses brouillards, il domine cette contrée et son histoire. Autour de la montagne sacrée, les escarpemens et les vallées du Gwynedd furent l’asile des chimères bretonnes. La nation galloise y maintint sa personnalité. Séparée du monde, elle vécut de ses souvenirs qui lui inspiraient des espérances. Le présent ne pouvait plus la satisfaire : elle se réfugia dans le passé dont son imagination exaltée, qu’elle croyait prophétique, projeta la vision sur l’avenir. Ce mirage consolait un orgueil malheureux, ardent à se donner, avec la légende de sa gloire passée, l’illusion de sa grandeur future. La destinée transfigurée de Galles rayonna le long des siècles, et la lumière des âges révolus éclairant les jours à naître, les déceptions présentes ne semblèrent plus qu’une épreuve dont la nation sortirait plus brillante, comme le soleil un moment éclipsé.

C’est l’idée de cette grandeur immortelle que symbolisa le roi Arthur. Le vieux chef de guerre des Cambriens, héros de son peuple, en devenait le Messie, ou plutôt, s’idéalisant comme le Cid espagnol dont le retour devait restaurer les gloires de Castille, personnifiait à la fois l’orgueil national, la résistance à la domination étrangère et cet instinct d’éternité, qui n’est peut-être, dans la race bretonne, que la conscience de sa vitalité.

L’histoire d’Arthur reflète, comme un magique miroir, l’histoire même de la nation galloise : elle y peut lire sa grandeur, ses misères et la mélancolie de sa destinée mystérieuse.

  1. Nom gallois du Snowdon.