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en poussière d’eau ; et cette mer aérienne, multiforme, continue à ondoyer, tournoyer, noyer.

Le lendemain, un souffle pur avait balayé ce déluge, et fait lever une matinée changeante, alternée de pluie et de soleil, sous un ciel de nuages et de trouées bleues. Le train longe des hauteurs boisées que l’automne rouille et effeuille ; en bas, une vallée s’argente de lumière. Tout le paysage a le frémissement matinal d’un oiseau qui s’ébroue. J’arrive ainsi à Betws-y-Coedd, la « perle de Galles, » village riant dans un murmure de ruisseaux et de feuillage. Sur une route lavée, sans poussière, le trot d’un cheval m’emporte vers le pont des Mineurs, les Cascades de l’Hirondelle et le Val des Fées. Il ne me souvient plus que d’un enchantement d’arbres et d’eaux : des collines dont les pentes sont couvertes de bois épais et les cimes couronnées de pins ; des arches tapissées de lierre, sous lesquelles s’affolent des torrens aux caprices des roches ; des sentiers dont l’herbe est mouillée par l’écume qui jaillit avec une fraîcheur sonore, et des rampes de bois dressées sur de verts abîmes où s’effondrent des nappes d’eau dans un bouillonnement de neige…

A Betws-y-Coedd, comme à Blaenau Festiniog, âpre ou délicieuse, la nature enveloppe et pénètre. Il monte du rêve de toutes parts ; les yeux sont assiégés d’images qui veulent s’animer et vivre ; et je ne sais quelle inspiration souffle avec le vent, Ce sont des lieux d’enchantement, où l’imagination se complaît, et aussi de petits univers fermés, où la volonté s’isole.

Comme les Highlands d’Ecosse, les districts montagneux du Nord-Galles favorisèrent la vie des clans. Rien ne se prête mieux à ces communautés indépendantes, dont chacune a son chef et pour ainsi dire son roi, que la division naturelle du pays en de minuscules royaumes. La géographie fut plus d’une fois complice de l’humeur individualiste des Cambriens. Mais si elle maintint leurs divisions, elle favorisa leur résistance. Cette terre fut un asile et une forteresse, le dernier asile d’une grande nation, la dernière forteresse de sa souveraineté. Le sol dressait pour sa défense des remparts inaccessibles, creusait des fossés, dissimulait des retraites.

Nul château n’égala jamais cette architecture dont l’enchanteur Merlin (car c’est ici son domaine) semble avoir lui-même disposé le savant artifice. Et le Snowdon en est le donjon. Il y a certes de plus belles montagnes que cette cime d’un millier de