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reculée où il exilait ses regrets, ses souvenirs et ses espérances. Ils ont empiété sur son refuge, opprimé le sol sous la masse des forteresses de pierre, désorganisé les lois et les traditions de l’antique royaume. Et Merlin reculait toujours. Il ne lui restait plus que sa montagne du Snowdon, où quiconque s’endort se réveille inspiré, des gorges, quelques vallées boisées et sauvages, des côtes déchirées par la mer, le Gwynedd en un mot, brumeuse région solitaire, propice au rêve dans les jours tranquilles et à la résistance dans le danger. C’est là qu’il subit le dernier assaut. Le 10 décembre 1282, une armée de mercenaires basques à la solde d’Edouard battit les Gallois levés pour leur indépendance. Adam de Francton tua leur chef, le prince Lewelyn ap Griffith, souverain de tout le Nord-Galles et que ses compatriotes regardaient comme le libérateur prédestiné de la Cambrie. Sa tête fut envoyée à Londres, où le roi Edouard la fit couronner de lierre et exposer sur la tour, afin d’accomplir la prophétie qui annonçait qu’un prince de Galles recevrait un jour la couronne dans la capitale du royaume anglais.

Comme si cette histoire galloise avait disparu, recouverte par la lourde alluvion de la conquête, nos yeux en voient à peine percer çà et là la trace sur le sol. Rien ne subsiste du noble passé à Bangor dont le nom rappelle l’origine religieuse : Al-banchor, le grand chœur, la grande église. C’était jadis un illustre monastère breton. Ses deux cents moines furent massacrés par le chef d’une peuplade anglo-saxonne, qui, après sa victoire, les avait vus prier pour le salut des leurs, agenouillés et sans armes. En face, l’île d’Anglesey rappelle, par des noms et des ruines, l’indépendance galloise. Un pauvre village de la côte occidentale, Aberfraw, fut jadis la capitale des souverains du Nord-Galles. Tout près de Beaumaris, chef-lieu actuel du comté, la carte m’indiquait un Tre-castell. Suis-je donc dans notre Bretagne ? Tre-castell est une des plus anciennes résidences de la famille des Tewdor[1]. Leur histoire est associée ici à plus d’un souvenir. Plas Penmynydd reste encore debout, où naquit, suivant la tradition la plus accréditée, Owen Tewdor, grand-père du fondateur de la dynastie anglaise. Un peu plus avant dans les terres, vêtue de lierre et perdue dans les arbustes et les arbres, Castell Leiniog est une petite forteresse carrée, flanquée d’une

  1. Orthographe galloise du nom qui est devenu en anglais Tudor.