Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/909

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suprématie. Les ancêtres de la dynastie galloise avaient régné sur la confédération de tribus bretonnes qui, après le départ des Romains, se liguèrent pour résister aux envahisseurs anglo-saxons. De Cuneda à Cadwaladr, l’épopée de cette monarchie rayonne dans le mystère de la légende. Puis les Cymry[1] sont relégués dans la partie occidentale de l’île qui, de leur nom, s’appellera Cambrie. Le dragon rouge recule devant le dragon blanc des Hengist et des Orsa. Mais dans le territoire où elle s’accule, leur nationalité demeure intacte et les voilà, durant quatre siècles, libres, indépendans, agités ; liés par une solidarité invincible, quoique déchirés de dissensions perpétuelles, frères ennemis aussi incapables d’oublier leur fraternité que d’organiser politiquement leur grande famille ; maîtres chez eux sous les lois patriarcales des dans ; accueillans à tous ceux de leur race dont la détresse accourt vers leur asile hospitalier de marais et de montagnes ; heureux, malgré tout, de vivre leur vie querelleuse, ennoblie de rêves et de poésie, impuissante à s’établir et ardente à se défendre. La domination territoriale est réduite, mais l’indépendance nationale reste intacte : la personnalité est sauvegardée.

Survient la conquête normande. L’armée qui a vaincu les Anglo-Saxons ne s’arrête pas à la tranchée d’Offa ; Guillaume et ses successeurs donnent, comme une sorte de supplément de solde aux chefs de bandes établis dans les provinces de l’Ouest, « licence de conquérir sur les Gallois, » et vers 1070, un chef normand, Baudouin, élève, non loin de Shrewsbury, dans les marches galloises, la première forteresse que les nouveaux maîtres de l’Angleterre aient fait peser sur le sol cambrien. Elle est le premier anneau de la chaîne qui enserrera le pays dans la domination des lords-marchers. Une nouvelle période commence pour le pays de Galles. Elle va durer plus de deux siècles. La puissance anglo-normande mord tous les jours sur le territoire dont elle arrache de magnifiques lambeaux ; Breknock, Glamorgan, Pembroke. Les seigneurs conquérans sont souverains dans leurs domaines. S’ils relèvent nominalement du roi d’Angleterre, leurs droits régaliens les investissent de pouvoirs qui constituent une insupportable tyrannie. Les historiens du XIIe siècle nous disent du comte de Shrewsbury qu’il avait

  1. Nom celtique des Gallois.